Si vous êtes arrivé là, c'est déjà un début. Et si vous cliquez pour lire la suite, vous apprendrez ce qu'est l'économie de l'attention. Et comment cet article a réussi à attirer la vôtre.

Si vous lisez ceci c'est que, d'une manière ou une autre, cet article a attiré votre attention. Peut être est-ce son titre, ou encore son chapô. Peut être est-ce aussi dû à son image d'illustration, ou encore au fait qu'il se trouve en bonne place sur la page d'accueil du site que vous visitiez. Ou peut être est-ce parce que votre moteur de recherche vous y a emmené

Voilà autant de stimuli de captation de votre attention possibles, auquel votre cerveau, consciemment ou non, a été soumis. Et pour que vous en soyez arrivé là, en ces temps de surabondance d'informations, c'est que celui-ci a décrété que cela pouvait valoir la peine de cliquer. Pour ne pas lui donner tort, plongeons nous donc dans ce qui s'appelle l'économie de l'attention.

 

Economie de l'attention : de quoi parle-t-on ?

«  Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible  ». La célèbre phrase, prononcée en 2004 par Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, illustre pour beaucoup ce qu'est l'économie de l'attention (et surtout les possibles dérives de son utilisation par le système marchand). C'est donc assez logiquement qu'elle se retrouve à diverses reprises, comme une sorte de fil conducteur, dans l'ouvrage collectif L'économie de l'attention. Nouvel horizon du capitalisme ?, dirigé par Yves Citton. Une phrase représentative également du ton général de l'ouvrage, relativement critique vis-à-vis de ce qui, dès les premières pages, est caractérisé comme un «  mantra  » prôné par «  les prêtres du nouveau marketing, du nouveau management ou de la nouvelle économie de l'esprit posthumaniste  »   .

C'est dans les années 1970 qu'émerge le concept d'économie de l'attention, avec des auteurs comme Alvin Toffler, Daniel Kahneman ou encore Herbert Simon, dont on retiendra cette définition, largement reprise : «  Dans un monde riche en information, l'abondance d'information entraîne la pénurie d'une autre ressource : la rareté devient ce qui est consommé par l'information. Ce que l'information consomme est assez évident : c'est l'attention de ses receveurs. Donc une abondance d'information crée une rareté d'attention et le besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des sources informations qui peuvent la consommer.  ».

Mais comme le note Yves Citton dans l'introduction de l'ouvrage, «  depuis le milieu des années 1990, de nombreuses voix proclament le basculement – imminent ou en voie de réalisation – de nos économies «  traditionnelles  » vers une économie de l'attention  ». Une affirmation renforcée par la publication, dans les années 2000, d'ouvrages ayant plutôt tendance à vouloir cerner les potentiels bénéfices que le secteur des ventes, du marketing ou du management pourraient retirer d'un tel «  basculement  ». Le plus marquant étant sans conteste The Attention Economy de Thomas Davenport et John Beck, publié en 2001, et dont le sous-titre laisse peu de doute quant à sa finalité : Understanding the New Currency of Business.

 

Penser l'attention par la pluridisciplinarité

L'ouvrage dirigé par Yves Citton se fixe deux objectifs : «  introduire le public francophone aux problématiques de l'économie de l'attention  »   et «  apporter des contributions originales contribuant tout à la fois à approfondir et à relativiser la nouveauté conceptuelle introduite par ce champ de réflexion encore émergent  ». Pour les réaliser au mieux, L'économie de l'attention est divisé en 17 articles, regroupés en trois parties : «  Qu'est ce que l'économie de l'attention ? », «  L'économie politique de l'attention numérique  » et «  L'économie éthique et esthétique de l'attention  ».

Notons tout particulièrement la production de Dominique Boullier   , qui propose, entre autres, une «  boussole cosmopolitique  » fort pertinente pour s'orienter dans les différents régimes d'attention. Ou encore celle de Daniel Bougnoux   , qui reprend à son compte l'histoire de l'ivrogne et du réverbère pour tenter de décrire nos rapports au monde des médias par le biais de l'approche médiologique qui lui est chère («  'Médiologie' désignerait justement cet intérêt pour les systèmes d'éclairages, donc pour les paramètres de l'attention  »).

 

Notre cerveau peut-il encore être attentionné ?

L'article de Jean-Philippe Lachaux   , enfin, s'intéresse plus particulièrement à l'économie de l'attention d'un point de vue neurologique, ou comment notre cerveau évolue dans cet univers de multiples et constantes tentatives de captation de l'attention. Loin de défendre l'idée que la dispersion généralisée de notre attention est le mal du siècle, l'auteur postule plutôt qu'il s'agit d'une évolution somme toute assez logique au vu de la masse d'informations que nous avons désormais à traiter, ce que nous ne pouvions, il y a une trentaine d'années de cela, pas même envisager. Et notre cerveau, s'il peut en effet être perturbé, s'adapte néanmoins à cette nouvelle donne.

Cet article se conclut d'ailleurs sur une réflexion intéressante, proposée sous forme de dilemme dit «  du chercheur d'or  » : en ces temps de surabondance informationnelle vaut-il mieux continuer à explorer le flux conséquent voire infini qui nous est proposé ou, au contraire, exploiter les données que nous possédons déjà ? Et c'est en ce sens que le terme d'économie importe. Car tous les auteurs en conviennent : l'attention a bien une fonction de valeur, qu'elle soit sociale ou financière, comme dans n'importe quel système économique «  classique  ». Elle se donne, s'échange ou... s'achète.

 

Penser l'attention pour mieux penser la transformation de notre société ?

Au final, et pour ne pas retenir votre attention trop longtemps, nous pouvons dire que cet ouvrage atteint pleinement son premier objectif en offrant une approche fort intéressante et diversifiée de la thématique de l'économie de l'attention, du fait des disciplines convoquées (philosophie, sociologie, neurologie...) et de la large palette des sujets traités (du PageRank de Google aux notifications en passant par notre cerveau et la sphère médiatique). Nous pouvons cependant parfois rester perplexe face à la dénonciation généralisée de la reprise du concept par les sphères du marketing, du management ou de toutes autres branches du secteur marchand. Le second objectif de cet ouvrage est également atteint puisque la «  nouveauté conceptuelle  » qu'est l'économie de l'attention est largement approfondie. Sa relativisation, par contre, nous semble plutôt s'inscrire là encore dans une démarche critique de sa reprise par la sphère marchande et mériterait sans nul doute une réflexion plus étayée.

Un regret, enfin : un détour plus conséquent du côté de la théorie critique, et en particulier des travaux d'Hartmut Rosa sur la question de la vitesse et de ceux d'Axel Honneth sur celle de la reconnaissance, aurait pu avoir un intérêt certain et aurait surtout permis d'ancrer la réflexion sur l'attention dans une optique plus large d'évolution de nos sociétés modernes