Cette rentrée 2013 voit la parution de deux bandes dessinées autour du Syndrome de Stress Post Traumatique (SSPT) chez les soldats américains ayant participé à la guerre en Irak. Deux bandes dessinées dans deux esprits très différents, pour deux publics tout aussi différents. Mais dans les deux cas, le graphisme sombre, noir, avec parfois des tonalités rouges pour Revenants, et une souffrance identique.

USA (Uriel, Samuel, Andrew) est une bande dessinée de fiction, plutôt destinée aux adolescents, qui raconte le destin de quatre soldats américains en Irak. Trois sont revenus d’Irak (Uriel, Samuel Andrew). Le quatrième est mort là-bas et c’est la vie de sa famille que nous découvrons.

L’œuvre se lit très bien, dans une structure très pédagogique. On les voit en Irak, puis revenir aux USA, être accueillis par leurs familles, leurs amis, leurs voisins. C’est la fête du retour. Ayant quitté l’armée, les voici redevenus civils. Ils s’offrent un peu de temps de repos avant d’envisager la réintégration dans la société. Sauf que ce temps de repos dure, qu’ils ont du mal à se réinsérer, et le temps passant on découvre qu’ils n’y arrivent pas. Les symptômes du SSPT commencent à se faire sentir : angoisses, hallucinations, état d’hyper-vigilance, troubles du sommeil, addictions et parfois délinquance. Une accumulation qui aboutit à l’errance SDF pour l’un, et au suicide pour celui qui, paradoxalement, semblait s’être le mieux réinséré, avec un mariage et l’arrivé de leur premier enfant.

La famille du soldat décédé en Irak vit difficilement, elle aussi. Dans une Amérique en pleine crise économique, la veuve doit cumuler deux emplois pour survivre, et délaisse de facto l’éducation de ses enfants. Quant au fils aîné, il délaisse le lycée pour dealer et gagner un peu d’argent, avant de se faire tirer dessus par un gang. Ainsi, que ce soit chez la veuve et les orphelins ou chez ces trois soldats, le traumatisme que la guerre produit agit sournoisement, et sans qu’ils puissent en parler.

On pourrait dire qu’USA est une bande dessinée "d’initiation" à la question du SSPT chez les soldats et leurs familles, et qu’elle constitue en cela un bon ouvrage pour découvrir cette question, que ce soit pour un public d’adultes que pour un public de grands collégiens et de lycéens.

L’autre bande dessinée, Revenants, raconte aussi le traumatisme que la guerre laisse chez le soldat qui en revient, que ce soit de la guerre d’Irak ou d’ailleurs, ou plutôt qui n’en revient pas totalement, son âme restant coincée là-bas. Olivier Morel, français vivant aux États-Unis et naturalisé américain, a réalisé un documentaire auprès de vétérans d’Irak, "Âme en sang". Revenants ne raconte pas le tournage de ce documentaire, mais "les liens troublants qui se sont tissés, au gré des rencontres, entre Olivier et les jeunes vétérans".

L’œuvre s’articule autour de deux fils conducteurs. L’un est le retour des jeunes soldats partis en Irak après le 11 septembre, puis leur retour aux Etats-Unis, leur difficulté ou leur impossibilité à supporter ce qu’ils y ont fait au nom d’une justice qui n’était que mensonge. Ils sont hantés par des visages irakiens, de civils, d’enfants, et par ce qu’ils y ont ressenti et ressentent à leur retour.

Tuer un civil irakien dans la nuit en vidant deux chargeurs, parce que le soldat est terrifié, provoque "un sentiment de puissance accablant", raconte Vince. L’arme à la main, la lampe du caporal venu en renfort éclairer le cadavre, Vince se souvient d’avoir tiré encore deux rafales. Et il hésite entre "sangloter ou laisser échapper un cri primal".

Il y a aussi ce croc de boucher sous lequel cette femme s’endort difficilement tous les soirs à Abou Grahib. Comme d’autres américains travaillant dans cette prison, elle donne son sang et fait des transfusions pour soigner les irakiens prisonniers. Des prisonniers que d’autres américains torturent dans la même prison. Revenue aux États-Unis, dès qu’elle voit passer un homme habillé en orange, sa tête repart là-bas et elle a peur. Elle se fait alors tatouer deux dog-tags   sur l’épaule, parce qu’elle veut "voir son mal à fleur de peau, mais ça lui fait mal de penser qu’elle aura ça sur sa peau pour toujours", nous dit l’auteur.

Ainsi, Olivier Morel raconte ses liens avec chacun de ces soldats, homme ou femme, jeune ou moins jeune, revenus d’Irak ou d’ailleurs. Il décrit leurs états présents et les interroge aussi sur leurs motivations pour s’engager et partir à la guerre. Vince raconte : "j’avais une vie de famille pépère, un boulot ennuyeux, des muscles flétris, je bouffais des glaces devant la télé, et j’avais de l’embonpoint." Après le traumatisme du 11 septembre, ces hommes et ces femmes ont tout quitté pour s’engager au service de la Nation, pour retrouver un peu de virilité pour certains, pour servir une cause juste pour d’autres. Mais ils reviennent d’Irak avec pour seule certitude celle d’avoir servis les intérêts financiers de quelques puissants investisseurs.

L’autre fil conducteur est la quête personnelle du narrateur, dont l’origine réside dans le souvenir de son grand-père mort à cause de l’alcool – ou lentement suicidé par l’alcool – après avoir été résistant en Bretagne. Un autre temps, une autre guerre. Il avait été "du bon côté" nous dit l’auteur, mais "ça [la guerre] l’a bouleversé pour toujours". Les différentes guerres s’entrecroisent dans cette bande dessinée. La guerre en Irak, celle que son grand-père la faite, celle de 1914. Il questionne un poilu centenaire qui lui chante la chanson de Craonne, et qui lui raconte comment son ami de tranchée lui a dit, juste avant de mourir, le visage déchiqueté par une explosion, "me laisse pas". Cette parole du poilu dans sa tranchée est la même que celle de Jeff, jeune vétéran qui s’est pendu "au bord de cette paisible rivière où il aimait se rendre". Sa dernière phrase laissée sur son dernier enregistrement du 5 mai 2010, est aussi « me laisse pas ».

Si cette œuvre nous parle principalement du Syndrome de Stress Post Traumatique (SSPT) des soldats d’Irak, Olivier Morel dépasse néanmoins cette seule question pour la mettre en perspective dans l’histoire des guerres dont il a eu des témoignages directs. Et la surprise arrive quand l’auteur y ajoute son voisin, un agent immobilier archétype du self-made-man, qui va à la salle de sport plusieurs fois par semaine, qui a une belle voiture, une belle épouse, de beaux enfants qui font de la musique et de l’équitation, une belle maison avec un beau gazon bien tondu et sans mauvais herbe, et qui se suicide brutalement lors des problèmes des subprimes.

Ainsi, l’auteur nous fait voir que le traumatisme généré par la guerre, et le poids de son horreur, ne concernent pas que les soldats ; il marque également une veuve et leurs enfants. Olivier Morel, petit-fils de résistant breton, est lui aussi marqué par ces guerres, même s’il ne les a pas faites, consacrant son activité professionnelle à ces revenants. Pour ceux-là, pour ceux qui portent le poids d’un traumatisme trans-générationnel, tout comme pour ces revenants préoccupés par ce "passager noir" de la nature humaine, il y a quelque chose à tenter de comprendre, dénoncer, et peut-être faire changer pour espérer un apaisement

 

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