Un livre très recherché, accessible désormais au public anglophone, sur le mythe politique du Général de Gaulle et sa signification pour la France.

En 2000, Maurice Agulhon, le grand historien de la République et de sa symbolique, avait composé un court ouvrage sur le mythe du Général de Gaulle : De Gaulle. Histoire, symbole, mythe   . Une dizaine d'années plus tard, c'est au tour d'un historien britannique, Sudhir Hazareensingh, exerçant à l'université d'Oxford, de proposer son interprétation du phénomène. À la fois politiste et spécialiste de Napoléon, Hazareensingh établit un parallèle entre ce dernier et de Gaulle, décelant en eux des hommes confiants dans leur destinée au service de la France. Toutefois, il ne s'agit pas d'une biographie croisée et encore moins d'une biographie : "What is analyzed in this book is not Charles de Gaulle's life but the legend he created and that survives him to this day."   La focale du livre est double : à la fois analyse de la construction du mythe du vivant du Général et son évolution posthume. Il ne s'agit alors pas tant de déconstruire le mythe que de rentrer pleinement dedans, en proposant une étude totale prenant en compte le contexte historique.

Pour mener à bien cette entreprise, Hazareensingh a réalisé une étude empirique fouillée, puisant aussi bien dans les ressources de l'historiographie que dans celles de l'analyse littéraire. Il a en effet recours à la masse de lettres envoyées au général par les Français tout au long de sa vie. Sous-tenant sa démarche, la nouvelle "History from below", récemment illustrée par le travail de l'australien Martyn Lyons et nourrie par le travail sur les "écritures ordinaires" du Français Daniel Fabre, est originalement mise au service d'un sujet relativement traditionnel : l'étude d'un phénomène politique. L'auteur a ainsi le mérite de ne pas se cantonner aux représentations du général émanant de ses proches, des hommes politiques, journalistes et intellectuels. Dans sa démarche, le livre est semblable aux ouvrages de la collection "Facettes" des Presses de Sciences Po, qui mêlent biographie et analyse de la postérité de grands personnages.

La résistance du mythe

Alors que Nicolas Sarzoky apparaît comme le fossoyeur du gaullisme, sa politique économique et internationale en témoignant, le retour dans le commandement intégré de l'OTAN en étant l'illustration la plus frappante, le Général de Gaulle n'en a pas pour autant disparu. Au contraire, il est toujours là et a atteint désormais le rang de symbole. Ses vertus sont offertes en exemple et servent de canon afin de jauger et de juger des comportements de la classe politique. Sa présence est physique, se matérialisant dans les rues et les monuments français, mais aussi dans la littérature et bien sûr dans les institutions de la Ve République.

Comment expliquer une telle résistance du mythe gaullien ? Cela serait-il dû à la capacité qu'a eu le général à opérer une synthèse dans un fonds commun de mythes français liant le tout par l'appel à la passion ? Pour répondre à cette question, Hazareensingh a recours à une démarche chrono-thématique. Il étudie d'abord la figure du libérateur, le messie des ondes, qui par son charisme, a réussi à rassembler les Français en dépit d'une absence de légitimité originelle. Cette réussite s'explique en partie par l'entreprise de pédagogie qui lui a permis de convaincre le peuple dans sa large majorité. Est-ce pour autant novateur ? Le mythe gaullien a des précédents et s'inscrit formellement dans la tradition française de l'homme providentiel. Toutefois, le général de Gaulle a effectué une rupture sur le fond en opérant une synthèse et en n'étant pas l'homme d'une seule tradition.  

Sa transformation en symbole

La cristallisation autour de sa personne s'ancre paradoxalement lors de sa traversée du désert sous la IVe République. La publication de ses Mémoires de guerre, inspirée de l'œuvre de Chateaubriand, dans les années 1950 jouent un rôle déterminant dans cette construction puisqu'elle lui permet d'imposer sa lecture des événements de 1940-1944 et qu'elle devient ainsi la source de sa légitimité future. Par ailleurs, l'isolement et le silence public qui caractérisent son retrait de la vie politique viennent renforcer cette légitimité, fondée a posteriori sur son appel du 18 juin 1940. La célébration de son anniversaire devient ainsi l'un des rituels fondateurs du gaullisme et se révèlera incélébrable après la mort du général. Par ce biais, ce dernier tente d'établir une continuité entre les deux Grandes Guerres et de les fondre dans la continuité d'une nouvelle guerre de Trente Ans contre l'Allemagne.

Dans les lettres dépouillées par Hazareensingh, de Gaulle apparaît comme une figure tutélaire : le père de la nation. Cette image est le résultat de ses innombrables voyages, à la fois nationaux et internationaux, qui ont donné de lui l'impression qu'il était à la fois distant et intime des Français. Cette relation particulière s'exprimera d'autant plus lors de ses obsèques en 1970. Sa maison de Colombey devient alors un lieu de pèlerinage en particulier dans la décennie 1970, puis l'enjeu de luttes politiques. Plus que tout, elle symbolise aujourd'hui l'absence du général. Dans les années 1990, la canonisation du général est achevée et il devient œcuménique : un intellectuel de gauche comme Régis Debray, compagnon de lutte de Fidel Castro et Che Gueverra, n'hésite pas à honorer sa mémoire dans ses écrits alors que le livre de souvenirs du fils du général, l'amiral Philippe de Gaulle, est un énorme succès de librairie.

À la fin de son livre, qui constitue davantage une histoire culturelle que politique du mythe gaullien, puisque les usages proprement politiques de la figure du général ne dominent pas son propos, Hazareensingh conclut au rôle de réconciliateur de l'homme du 18 juin. Plus que tout autre, il a su mettre fin aux guerres franco-françaises issues de la période contemporaine en offrant une certaine idée de la France rassemblant les différents confluents de son histoire  



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"Le "De Gaulle" des Français", recension du livre de Sudhir Hazareensingh, Le mythe gaullien, par David Valence