Bernar Venet, 1941, artiste plasticien français, voit ses œuvres publiques multipliées encore, de nos jours. Beaucoup ont désormais rencontré ses arcs en acier cor-ten (noir), placés soit dans un parc (Nice, Place Sulzer), soit sur un rond-point (Belley), soit sur une place publique. Il débute sa carrière en 1961, en exposant un tas de charbon. En 1967, il précise : "mon travail est un manifeste contre la sensibilité, contre l’expression de la personnalité de l’individu. Dans mon œuvre, la dernière manifestation de ma personnalité, mon dernier choix aura été d’opter pour l’objectivité". Où l’on reconnaît les partis pris d’une époque qui tente par tous ses moyens de rompre avec la figuration et la narration artistique. Rapidement, il expose aux côtés des tenants de l’art minimal et conceptuel (Sol Lewitt, Donald Judd, Carl Andre, Dan Flavin). Il met au point un programme de recherche articulé aux savoirs scientifiques, au terme duquel il prévoit d’arrêter sa carrière.
Mais en 1976, il la reprend. Il se lance alors dans la déclinaison de sculptures intitulées "lignes indéterminées". c’est à partir de là qu’il rejoint les mathématiques. Désormais : Arcs, Arcs penchés, Arcs verticaux, effondrements, … participent de son vocabulaire artistique. Sur ce plan, qui concerne directement le rapport arts et sciences, le critique d’art Philippe Piguet (L’œil, Paris, numéro 524, mars 2001) nous offre une interview qui mérite d’être relue ces temps-ci.
Bernar Venet précise d’abord : "Ma sculpture a toujours entretenu un rapport étroit avec les mathématiques. Qu’il s’agisse de la géométrie des Arcs, des Angles ou des Lignes Obliques sur lesquelles, vous le savez, je fais graver leur identité mathématique. Prenons par exemple 224.5° Arc x 8 qui est inscrit sur une sculpture composée de 8 arcs de 224,5° chacun. Mes œuvres plus complexes telles que les Combinaisons aléatoires de lignes indéterminées ou les Accidents sont identifiables par contre à des mathématiques plus récentes, telles que la théorie du chaos, des catastrophes ou la science de la complexité."
Insistant, Philippe Piguet permet à Venet d’approfondir ce point : "Dans mon travail la forme est multiple tandis que le concept reste unique. Unique, mais ouvert. Ann Hindry développe cette idée dans un texte qu’elle a écrit il y a quelque temps, L’équation majeure. Elle parle de ce qui le caractérise comme d’une équation générale, une matrice conceptuelle en quelque sorte, à partir de laquelle se développent des sous-équations qui sont autant de propositions parallèles, de variations, d’extensions d’un thème principal. Une tentative de ma part d’enrichissement et de renforcement conceptuel ou même formel qui n’enlève rien à l’unité de l’œuvre."
La question reste cependant de savoir si les mathématiques sont présentes dans cette œuvre au titre d’un support, d’un instrument ou d’un élément intrinsèque. Bernar Venet répond : "En présentant ce que l’on définit habituellement comme "objets mathématiques" : nombres, figures, espaces, fonctions, relations, structures, etc... l’œuvre d’art peut alors s’élever à un niveau d’abstraction maximal qui lui était étranger. Le "non-référentiel" est poussé dans ses extrêmes limites. Nous n’avons plus, comme dans l’art abstrait, de symbolique non plus, celle de la forme ou de la couleur par exemple... Je propose un système auto-référentiel maximal, celui que seule une équation mathématique peut contenir."
Et l’artiste de compléter : "Je ne recours pas aux mathématiques pour les substituer à d’autres modèles artistiques. Elles ne se rapprochent pas davantage de la réalité et de toute façon je ne vise pas cet objectif. Je les propose parce qu’en plus des particularités qui leur sont attribuées et que j’ai décrites plus haut, elles sont un moyen d’enrichir le domaine artistique par une approche différente du monde et des phénomènes de pensée possible. Une approche dont il faut bien reconnaître qu’elle a été tenue à l’écart jusqu’à présent, probablement parce qu’elle était trop éloignée des modèles figuratifs et abstraits auxquels nous sommes habitués et qui ont prévalu en art jusqu’à nos jours."
Ajoutons que récemment, l’artiste a proposé aussi au public des peintures mathématiques, d’une veine un peu différente, et plus intime puisque non destinées à des bâtiments publics (sous réserve de rappeler que la Cour des comptes (siège de Paris) abrite un plafond peint par l’artiste à partir d’équation mathématiques, si l’on peut ainsi résumer le cas)
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