Giono : tout un monde romanesque dans une maison de Manosque.

Faites le test, dites “Giono” et, à coup sûr, on vous répondra “Manosque”, tant on associe ces deux noms, au point de faire de Jean Giono (1895-1970) le romancier régionaliste par excellence, alors même que son œuvre, comme en témoignent ses nombreuses traductions, est universelle et “parle” à tout terrien.

C’est pourtant là, en Haute-Provence, qu’il conçoit et rédige ses romans et essais, et nombreux sont ses lecteurs qui rêvent de mettre leurs pas dans ceux de ses personnages, ignorant que Giono invente toute une géographie avec un relief, une toponymie, des atmosphères où la fiction l’emporte sur la réalité. Il se marie en 1920 avec Élise (qui dactylographiera tous ses textes), Aline naît en 1926, la famille s’installe dans une petite maison que l’écrivain vient d’acquérir en 1930, le Paraïs, sur les flancs du Mont d’Or à proximité de Manosque, c’est là qu’en 1934 viendra au monde Sylvie.

La petite maison va s’agrandir au fur et à mesure de l’accroissement des moyens du romancier et se doter, progressivement, du confort moderne. Jean Giono quitte son emploi d’employé de banque en 1929 pour tenter de vivre de sa plume et, comme il a en charge une famille nombreuse (la grand-mère quasi centenaire de sa femme, sa belle-mère, sa grand-mère et le frère de celle-ci et Séraphine, dite “Fine”, la bonne Piémontaise), il achète cette modeste demeure.

Sylvie Giono   nous guide dans cette maison avec une discrétion à la hauteur de son admiration pour son père. Non seulement nous visitons la maison et en comprenons les rythmes journaliers, mais nous en suivons les modifications, agrandissements, travaux, nouvelle répartition des pièces (le bureau et surtout la bibliothèque dont le nombre d’ouvrages ne cesse de croître changent d’étage). Le mobilier est simple, une table Louis XIII, recouverte d’un tissu bordeaux avec au-dessus plusieurs épaisseurs de buvard vert, sert d’écritoire, Giono rédige tout à la plume plongée dans de l’encre noire. À portée de sa main une coupe en bois d’ébène contient les pipes de la marque Dunhill, un peu plus loin un bouquet de fleurs du jardin confectionné par “Fine”, près de la table deux fauteuils Club en cuir fauve, dont l’un accueille le siesteur. Le tapis est une œuvre commune, inspiré par Le Serpent d’étoiles de Jean Giono, le motif est dessiné par Lucien Jacques et c’est Élise qui a noué les points en noir, blanc et marron.

La maisonnée est calme car le silence est indispensable au créateur, qui seul est autorisé à le rompre en mettant un disque… “En contrepartie de ce silence en haut de la maison, la vie de famille, en bas, est sans contrainte. Mon père a eu de la chance d’avoir deux filles paisibles qui aiment la lecture par-dessus tout. Le seul bruit lancinant vient de la machine à écrire dont ma mère se sert pour taper les manuscrits. Le claquement sec des touches de cette machine est pour moi la madeleine de Proust. Je revois ma mère tapant très vite pendant des heures, installée sur la table de la salle à manger, allant demander des explications à mon père quand elle a du mal à déchiffrer son écriture. Là aussi, il y a un accord parfait entre ces deux êtres sur le plan intellectuel. Mon père, loin de ma mère, n’aurait pas écrit l’œuvre qu’on lui connaît.” Le repas représente le temps fort de la maison, chacun abandonne son activité et rejoint la salle à manger, seul le maître de maison arrivait quand il le désirait.

Plus tard, l’ambiance change quand les petits-enfants de l’écrivain viennent le visiter. Il ne sort guère de son jardin. Il est vrai que Manosque s’est considérablement enlaidie de constructions sans grâce, confortant le point de vue du romancier sur l’invention des paysages. Là, il ne redoutait personne ! Dans sa préface à Accompagné de la flûte, il avoue : “Je ne connaissais pas la Grèce. J’en avais besoin. Je l’inventais.” Et, peu importe la véracité des détails, l’essentiel réside dans l’enchantement que la description provoque.

Sylvie Giono nous fait partager la vie quotidienne de son père qui vit simplement et encore plus après un infarctus passé inaperçu, en 1962, qui le ralentisse et l’oblige à arrêter de fumer et de manger salée. En 1968, il a l’opportunité d’acheter la maison voisine avec son jardin, ce qui agrandit son parcours de promenade et lui offre un bureau de plain-pied. C’est là qu’il s’éteint (comme on dit de la flamme d’une chandelle qui cesse de nous éclairer ou d’un feu qui ne nous réchauffe plus) durant la nuit du 8 octobre 1970. Témoignage émouvant qui attend d’être complété par la publication des “Souvenirs inédits” d’Élise Giono, qui sont cités à plusieurs reprises et semblent passionnants, et par une appréciation critique de l’ouvrage d’Annick Stevenson(Cf. Annick Stevenon, Blanche Meyer et Jean Giono, Actes Sud, 2007)) qui relate les amours de Blanche Meyer avec le romancier, à Manosque