L’artiste allemand John Bock, né en 1965 à Itzehoeen, Allemagne, s’ingénie à développer son œuvre entre gag et sérieux, entre science et bricolage, entre philosophie et chaos, il plante le décor de son propre théâtre de l’absurde. Ses conférences-performances sont l’occasion de mêler les savoirs et l’ignorance sur des estrades improvisées, des habitacles faits de vêtements, de mobilier et autres objets agencés. S’y mêlent délires, formules mathématiques, fiction, réel et textes d’auteur. On a pu le rencontrer au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) à Marseille, mais aussi à la dernière Biennale de Venise.

Dans cette œuvre se déploie une autre forme de rapports arts et sciences, une forme dont les travaux habituellement sérieux se tiennent à distance : l’ironie. Et l’ironie en particulier à l’égard des prétentions de beaucoup de ceux qui rêvent de faire fonctionner les rapports arts et sciences. Il crée un univers particulier, qui ne sollicite aucun accord arts et sciences, mais qui mélange à plaisir les deux disciplines. Entre Sciences et Buster Keaton, science, esthétique, politique et autres discours défient les logiques trop bien définies.

Qu’il y ait de l’absurde dans ce travail, c’est évident. Mais cela n’en interroge pas moins nos présupposés. Ceux des distinctions que nous opérons, ou au contraire ceux des synthèses trop rapidement conduites. En un mot, l’artiste travaille moins sur arts et sur sciences, que sur les modes mêmes de la liaison et c’est cela qui nous importe. Au-delà de la bonne volonté, au-delà de la marchandisation, au-delà de la simple juxtaposition, toutes les possibilités logiques existent, quant aux liens entre arts et sciences. Et c’est justement là que l’artiste porte son regard.

L’artiste aime provoquer des chocs dans le rapport entre les choses, les disciplines ou les savoirs. Il ne croit pas en l’existence d’une combinaison préalable aux essais qui doivent présider aux rapports entre les deux. Il n’est guère d’automatisme possible. Seulement des expériences qui permettent de placer des objets et des disciplines en confrontation.

Son œuvre se produit sous de multiples formes. Collages, installations, performances, interventions dans l’espace public, … Elle ne cesse de prendre à parti les domaines artistiques dans leurs liaisons avec des savoirs. Elle parodie alors les pseudo savoirs, les associations mal conçues, les facilités qui séduisent mais ne prouvent rien. Sociologie, mathématiques, formes diverses de savoir sont convoquées dans les œuvres. Surtout, il parodie ou ironise sur les demandes de divertissement dont les rapports arts et sciences font l’objet. Petites physiques amusantes pour artistes lassés d’apprendre, objets de design pris par les savants pour des objets d’art, et autres résidus des confrontations arts et sciences soumises à la marchandisation culturelle ou au loisir de masse.

Si Bock s’intéresse aux rapports entre savoir et art, c’est avant tout pour tenter de délimiter les difficultés suscitées par de tels projets. C’est d’ailleurs dans les rapports entre économie et art qu’il trouve la plus vaste matière de ses interventions. Son scepticisme concernant les discours des économistes et la scientificité de l’économie, lui permettent de produire des travaux critiques à l’adresse de cette "science", ou de l’usage du mot "science" à l’égard d’un tel savoir technique de la maîtrise des mouvements de population. Il ironise sur la mise en équation des hommes à travers le discours des économistes. Il critique la polarisation de ce savoir sur la quantification. D’une certaine manière, il demande aux politiques de suspendre leurs calculs, dans lesquels ils évaluent les hommes comme des troupeaux de bétail. Dans la ligne des meilleurs philosophes critiques de l’économie, il souligne que les inégalités sociales sont donc le fruit de l’économie et d’une certaine économie (celle du calcul des intérêts et des calculs comptables) : celle de la quantité. Il s’en prend à cette étrange et funeste constitution où les richesses accumulées facilitent toujours les moyens d’en accumuler de plus grandes et où il est impossible à celui qui n’a rien d’acquérir quelque chose. En quoi, il faut donc refuser la subsomption du discours politique au discours économique. C’est dans cette soumission qu’on liquide la politique. D’autant que dans les perspectives quantitatives en question, la société est réduite à une série d’équations, et on n’envisage plus ses membres que comme les paramètres de calculs…

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr les dernières chroniques Arts et Sciences :
- Arts et Sciences : entrez dans la danse...
- Arts et Sciences : Fourmentraux à nouveau
- Arts et Sciences : dans des politiques culturelles
- Arts et Sciences : un savant artiste et un artiste savant ?