Francis Scott Fitzgerald (1896-1940) fait son entrée dans la Pléiade, deux tomes regroupant toutes ses œuvres paraissant cet automne dans la prestigieuse collection de Gallimard (sous la direction de Philippe Jaworski). De son premier roman L’Envers du paradis, paru en 1920, qui connut un succès foudroyant et l’intronisa comme l’écrivain emblématique de la “génération perdue” et des années folles, à Gatsby le magnifique (1934), en passant par ce qui est considéré comme son chef-d’œuvre, Tendre est la nuit (1937), jusqu’à son roman inachevé Le Dernier Nabab et publié après sa mort en 1941, tous ses textes ont été retraduits à l’occasion de cette nouvelle édition. À cela s’ajoutent nombre de nouvelles, articles et essais parus dans divers périodiques et jamais encore réunis.

Fitzgerald, figure légendaire des Années folles, plongé dans un tourbillon de fêtes, d’opulence et d’alcool, Zelda à son bras. Puis, les années 1930, la dépression, l’alcoolisme, Zelda et sa folie débordante qui la conduit en hôpital psychiatrique. Viennent alors les problèmes d’argent, la déchéance, les échecs et le mépris du milieu littéraire, et la solitude de celui qui meurt à Hollywood dans l’indifférence. La vie de l’écrivain, son couple, fascine et suscite biographies et romans, certains en gagnent même des Goncourt   , et “biopics”. Fitzgerald inspire et l’œuvre s’efface derrière la vie.

L’entreprise de la Pléiade est ainsi d’“affaiblir l’emprise de la biographie sur l’œuvre” mais aussi de respecter les choix éditoriaux de l’auteur qui avait pâti de l’incurie éditoriale de son éditeur américain Scribner’s et de donner un nouveau souffle aux anciennes traductions disponibles en français de la plupart de ses romans, nouvelles et essais. Dix spécialistes ont entrepris de retraduire l’œuvre et, bien sûr, comme dans tout Pléiade, d’y ajouter préface, notes et paratextes. Ainsi l’œuvre s’éclaire et est rendue à sa cohérence dans son intégrité.

Cependant, dans la rencontre entre l’institution littéraire quelque peu désuète et l’écrivain de la génération perdue flotte un paradoxe, comme une incompatibilité entre l’œuvre et son écrin prestigieux. Certains s’irritent déjà en imaginant Fitzgerald aux mains des collectionneurs de la Pléiade, livre-relique, voué à prendre la poussière bien rangé sur une étagère. L’écrivain de la décadence superbe, de la déréliction flamboyante, mort seul, désargenté, dans l’ignorance du monde des lettres, paraît bien engoncé dans son nouvel habit luxueux si peu ajusté.

Pour d’autres, la question est ailleurs : Fitzgerald est-il véritablement un écrivain dont l’œuvre “mérite” d’entrer au panthéon de cette institution. Fitzgerald ne serait qu’un écrivain léger, sorte de chroniqueur d’une époque, dont les écrits ont une ampleur limitée. Écarté du cercle restreint des “grands”, de ceux qui font la littérature, écrivain mineur, il ne devrait pas figurer au catalogue à côté de Faulkner, Hemingway ou Melville.

On n’entre donc pas dans la Pléiade comme dans un moulin, l’expérience est bruyante et suscite remous et débats, preuve de la force symbolique de cette collection. Dans une auto-interview pour la promotion de son premier roman, Fitzgerald aurait dit : “Je me fiche un peu des gens du milieu littéraire – ils me rendent nerveux.” À coup de citations, on peut réinventer une légende et dessiner un homme qui était sans doute infiniment plus paradoxal que cela. Une carrière universitaire en demi-teinte, aspirant à faire partie des élites, une soif inextinguible de reconnaissance, son entrée dans la Pléiade aurait peut-être ravi l’homme à la fêlure qui se rêvait une autre vie. Un écrivain continue de s’écrire après sa mort, on s’en empare, on s’empoigne, on s’en réclame, on le lit.