Le samedi 11 février, nonfiction.fr et la Fondation Jean-Jaurès organisaient une journée d'études sur l'idéologie du sarkozysme. Olivier Py, metteur en scène qui vient d'achever son mandat de directeur de l'Odéon-Théâtre de l'Europe   , y donnait son point de vue sur le sujet et son application dans le domaine de la culture. En voici la version écrite, dont nous publions aujourd'hui le dernier volet.  

 

IV- Les maladies de la culture

Le quinquennat accélère la vie politique et les projets au long terme n'ont pas la foulée nécessaire pour arriver au but. Le bilan du sarkozysme est finalement assez maigre en termes culturels. Les idées sont nombreuses, mais les réalisations impossibles, ajournées ou oubliées. Le capital culturel n'a pas été redistribué. Le ministère de la Culture a été dévalorisé, par les faiblesses, les erreurs et les humiliations de ses deux ministres. Le paysage audiovisuel a résisté à toute réforme et pourtant, il a perdu en indépendance. La précarité des artistes du spectacle n'a fait qu'augmenter et aucune réponse n'a été donnée au statut de l'intermittence. La loi Hadopi s'est trompée de cible et n'a servi qu'à menacer les usagers. La Maison de l’histoire a été discréditée par les historiens avant de naître, reste qu'il y a eu sanctuarisation des budgets en période de crise, assez courageusement, mais trop tard et sans réelle vision. Deux ministres faibles et un président qui s'avoue lui-même incompétent en matière de culture n'ont pas inventé la politique culturelle de droite qui favoriserait le mécénat, repérerait les talents individuels, revaloriserait la culture populaire et régionale, relierait le patrimonial et l'histoire à l'entreprise touristique, oserait favoriser les nouveaux médias, modifierait le paysage télévisuel, assurerait le rayonnement de la marque française à l'étranger, conforterait la francophonie, proposerait une réelle interaction entre l'école et les arts, etc. C'est avec étonnement que l’on voit les politiques culturelles de droite, toujours un peu dans un complexe d'infériorité, reproduire les grandes architectures de la politique culturelle de gauche quand elles en ont les moyens. La droite en termes de culture fait souvent une politique de gauche depuis la création du ministère, elle épouse aussi ses travers comme l’événementiel dénoncé par des intellectuels de droite ou le mécénat d'État qui semble favoriser un art institutionnel, la démagogie sociale, le saupoudrage, la mode, les paillettes, etc.

Mais l'objet de ma communication était moins de dresser le bilan de la politique culturelle de Nicolas Sarkozy que de tenter d'en déconstruire les présupposés idéologiques. Les outils conceptuels du sarkozysme étaient en tout cas propres à changer la façon de "faire" la culture en France. N'oublions pas non plus qu'il y a eu sans doute projet de tuer définitivement le ministère de la Culture au profit d'un "grand ministère" - en termes de périmètre, pas d'influence forcément - de la Culture et de l’Éducation nationale. Et que Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture, a publié dans Le Monde une tribune   où il condamne le ministère qu'il a dirigé et souhaite sa disparition. Ce ministère et le symbole politique qu'il représente sont plus en danger que jamais après ces cinq dernières années. Il est à ce jour pratiquement exsangue et avec lui tous les avenirs de la politique culturelle. Les maladies de la culture grèvent un grand corps d'État malade et abandonné.

En conclusion provisoire de cette mini-série, je voudrais citer quelques unes de ces maladies les plus fréquentes dont est atteinte la politique culturelle, on jugera peut-être de l'action de Nicolas Sarkozy et de ses ministres à ce seul énoncé. Mais au-delà de ce bilan qui mérite une analyse plus profonde, ces maladies sont aussi celles qui s'insinuent déjà dans tous les projets de politique culturelle de gauche comme de droite. Le milieu ambiant d'une élection présidentielle est hautement nosocomiale. Quand il y a un projet culturel... Et quand les artistes et les intellectuels ne servent pas de faire-valoir le temps d'une campagne électorale. Tandis que les communicants, un œil sur les sondages et l'autre sur l'écran de contrôle, assurent l'image en creux d'un pouvoir qui a peur d'être lui-même. Voici donc quelques unes de ces maladies :

L'hexagonalité ou le déficit d'image de la politique culturelle à l'étranger. Cette grande agence à l'image du Goethe-Institut ou du British Council sera-t-elle viable un jour ?

L’événementiel ou l'art de dévaluer le mot culture et de dissoudre le sens dans une fête parfois démagogique (il s'agit plutôt d'une maladie de gauche).

La rentabilité, c'est plutôt une maladie de droite qui se passe de commentaire.

La récupération politique, le monde de la culture s'y prête avec complaisance.

L'utilitarisme, il faut toujours que la culture serve à quelque chose, à créer des emplois, à réparer la fracture sociale, à l'instruction civique, etc...

Le divertissement, présenté comme le remède, il est bien sûr la grande maladie, toujours justifiée, parfois justifiable, d'une société qui se déteste elle-même.

La mode et avec la mode, la superficialité, alors que dans le même temps le monde de la couture essaie de se débarrasser du concept de mode !

Le sectarisme, de la secte à la religion d'Etat il n’y a souvent qu’un pas, le pluralisme des formes et des idées n'est pas toujours facile à défendre. Et cette maladie là n'est pas imputable aux politiques.

Il y aurait aussi la fonctionnarisation, le mécénat d'Etat, l’éducatif, même si l'Education nationale et la culture doivent être réunies pour un grand projet, cela ne veut pas dire que la culture se substitue à l'éducatif, le patrimonial, quand il n'est pas interrogation du présent, mais capitalisation inerte du passé, ou encore le sectorisme. J'entends par là considérer la culture comme un secteur de la vie publique, au même titre que l'agriculture et l'industrie. Il n'y a pas une place pour la culture, toute la place est pour la culture. Elle est le sens et il ne s'agit pas de donner du sens ici ou là, mais que toute la vie ait du sens, et c'est la tâche inquiète, imparfaite, difficile de la culture. Tout ce qui ne donne pas sens n'est pas de la culture, mais du culturel.

Toutes ces maladies, et d'autres, ne sont pas incurables. Elles appellent des réponses, des idées et de l'engagement. Mais il faut pour cela une conscience plus large, une volonté plus avant de définir le sens même de notre présence au monde. L'espoir n'est pas une marchandise comme les autres. L'espoir n'est pas non plus une idéologie. L'espoir n'est certainement pas un programme. Et pourtant c'est la capacité à reconnaître l'espoir d'une nation qui fait le sens même de la politique 

 

 

- Ier épisode : "L'idéologue et le sarkozysme". 

- IIe épisode : "Mes rencontres avec Nicolas Sarkozy". 

- IIIe épisode : "Le sarkozysme culturel".