En période de campagne électorale, il arrive que des propositions surprennent. C’est effectivement le cas en Russie. Le Premier ministre-candidat Vladimir Poutine, qui se présente à un troisième mandat présidentiel en mars 2012, vient d’annoncer une mesure concernant " l’unité culturelle à travers la littérature ". Il s’agit de rendre obligatoire à l’épreuve du baccalauréat, une interrogation sur la lecture des canons de la littérature russe. Les élèves devront lire un corpus d’une centaine d’ouvrages d’origine russe- dont-on ne connait pas encore les titres - et seront évalués sur leur capacité à valoriser la " prédominance de la culture nationale russe ". Une façon d’après V. Poutine d’unifier la disparité des populations qui composent la Russie.
Certains s’interrogent sur le bien-fondé d’une telle proposition. Manipulation des esprits, opportunisme électoral, Vladimir Poutine dit s’inspirer d’un précédent américain. Dans les années 1920, certaines universités américaines prévoyaient en effet de mettre au programme un corpus de textes dont il fallait connaître le contenu car leurs auteurs étaient considérés comme les plus influents de la culture occidentale.
Dans un entretien confié au journal Nezavisimaya Gazeta, Vladimir Poutine rappelle l’impérieuse nécessité de rassembler les divers peuples disparates de la Russie. Les citoyens russes doivent pouvoir se sentir fières de leur nation et des grandes figures qui composent leur socle culturel commun, explique le Premier ministre russe. Peut-être pense-t-il que l’union fait la force ? En tous les cas, cette proposition interroge, certaines figures de la littérature russe seront-elles présentes dans ce corpus ? Ou bien seront-elles savamment évincées pour ne pas froisser une culture légitime, une culture légitimée - et contrôlée - par le pouvoir ? S’il est encore trop tôt pour s’inquiéter des dérives que ce corpus d’ouvrages pourrait entraîner, gardons tout de même en tête la réflexion d’Osip Mandelstam, essayiste russe du XXe siècle, déporté au goulag pour avoir critiqué Joseph Staline : " Il n'y a qu'en Russie que la poésie est respectée. Parce qu'elle entraîne la mort de ses auteurs."