Un panorama étendu et vivant des connaissances scientifiques humaines, hélas parfois entaché d'approximations, mais passionnant.

Le livre de vulgarisation de Bill Bryson, Une histoire de tout, ou presque... est un titre qu'on aimerait pouvoir recommander sans arrière-pensées : il vient de paraître en poche et se propose de résumer en un volume compact de la bien connue Petite bibliothèque Payot les notions scientifiques fondamentales, de la formation des planètes à l'émergence des Hominidés, en passant par les mystères de l'ADN et la vie privée des électrons.

Pour aborder des sujets aussi vastes et différents que l'astronomie et la physique théorique, la géologie et la biologie cellulaire, Bryson choisit de s'intéresser non seulement aux résultats (l'âge de la Terre, la composition chimique de son noyau, la cause de l'extinction des dinosaures...), mais surtout à la façon dont toutes ces données ont été obtenues. Cette démarche est associée à une plume alerte et à de nombreuses interviews permettant d'apporter le human interest, si cher aux journalistes américains, et produit un ensemble intéressant et dense en informations comme en bons mots.

L'accent est en particulier mis sur la vie des scientifiques, lesquels méritent bien cet aspect biographique : le lien entre la vie de Darwin (marié à sa cousine) et son intérêt pour l'héritabilité des caractères, est par exemple bien connu, mais c'est loin d'être la seule anecdote pertinente. Nombre de savants apparaissent dans des histoires qui, au-delà de leur côté insolite, en disent beaucoup sur le contexte historique des découvertes présentées et soulignent l'importance des interactions sociales dans le développement et le succès des théories scientifiques.

L'auteur est américain et cela se ressent parfois. On citera par exemple sa manie des comparaisons improbables (le nombre d'Avogadro   "équivaut au nombre total de grains de pop-corn nécessaires pour enfouir les États-Unis sous une couche de 12 km" (p. 132), et "si les galaxies étaient des petits pois congelés, il y en aurait suffisamment pour remplir le Royal Albert Hall" (p. 160) ), mais aussi l'importance relative donnée aux différentes personnalités scientifiques : seuls les savants non-anglophones les plus incontournables, du niveau de Lavoisier, Mendel et Curie, ont droit à leur place dans l'ouvrage. C'est un choix finalement excusable au regard des contraintes de place et c'est l'occasion d'en apprendre plus sur des scientifiques anglais ou américains peu connus en France.

Le livre souffre toutefois d'autres défauts autrement plus significatifs. Au-delà des quelques problèmes de forme pour certains mots spécialisés (Thermohalin prend un h, et les noms d'espèces biologiques une seule majuscule au nom de genre : Homo sapiens), le texte souffre d'une traduction problématique des termes scientifiques : les volumes sont donnés en "kilomètres cubiques", les poids en "tonnes métriques", les béchers sont rebaptisés vases à bec, le gaz NO est privé de son appellation moderne de monoxyde d'azote et le mot anglais pour organite cellulaire (organelle) n'est même pas traduit.

Plus grave, on trouvera aussi quelques données objectivement fausses : la taille d'une paramécie n'est pas de l'ordre de deux microns, mais de 200, et le nombre de cellules dans le corps humain est plus proche de 1013 que de 1016. Ces erreurs semblent souvent dues à un effet de téléphone arabe : ne pouvant embrasser l'ensemble des connaissances qu'il résume, Bill Bryson s'appuie sur des ouvrages de science déjà vulgarisée, et le processus ne réussit pas aux précautions oratoires.

Par exemple il est incorrect d'écrire qu'« à l'exception de la méduse, tous les animaux d'aujourd'hui sont triploblastiques   : pour commencer il n'y a pas une méduse, mais des centaines d'espèces, et surtout les diploblastiques   incluent non seulement les méduses mais aussi des organismes connus de tous comme les anémones de mer, les coraux et les éponges, mêmes s'ils sont aujourd'hui très minoritaires en nombre d'espèces.

Sur un sujet moins ésotérique, il est désagréable de lire que les phoques crabiers "sont peut-être la deuxième espèce après l'homme en termes de population" (p. 343) avec 15 millions d'individus, alors qu'une seule super-fourmilière peut contenir des centaines de millions d'individus. Même en se restreignant aux Vertébrés (qui ne sont pourtant ni plus ni moins des animaux que les fourmis), la population mondiale de poulets tourne autour des 25 millions... 

Le lecteur me pardonnera de citer principalement des exemple biologiques, d'autant qu'à la suite d'une enquête informelle sur un échantillon réduit quoique varié, je suis arrivée à la conclusion qu'un scientifique pris au hasard a de bonnes chances de trouver dans le chapitre correspondant à sa discipline des approximations, voire une ou deux erreurs factuelles qui le feront grincer des dents. Ces erreurs — en particulier celles de traduction — sont d'autant plus irritantes qu'elles auraient souvent pu être évitées par un éditeur attentif avec une bonne culture scientifique.

Malgré ces réserves significatives, Une histoire de tout, ou presque... réalise son ambition en offrant un panorama à la fois étendu, détaillé et vivant de la science moderne, ainsi qu'une bibliographie extensive pour approfondir les questions qui auront intéressé le lecteur. Tout le mal qu'on lui souhaite, c'est une deuxième édition, cette fois revue et corrigée...