La brillante démonstration qu'une bonne carte vaut souvent mieux qu'un long discours.

Aider à comprendre le présent et préparer l’avenir. Le propos aurait pu paraître ambitieux voire présomptueux à partir de simples cartes. Mais c’était compter sans le talent de l’équipe du Dessous des cartes qui, de ses émissions sur Arte à ce deuxième atlas, continue de démontrer avec brio qu’une bonne carte vaut souvent mieux qu’un long discours.

Deux ans après la livraison déjà remarquée de l’excellent Atlas du Dessous des Cartes, Jean-Christophe Victor et son équipe reprennent leurs outils d’arpenteurs et rendent aux enjeux contemporains une évidence spatiale que l’on a tendance à perdre de vue dans le flot incessant du discours d’actualité. Loin des exercices de cartographie convenus et souvent inutiles dont on a pu garder la mémoire scolaire ("Faites-moi une carte des milieux arborés du Mercosur !"), cet Atlas d’un monde qui change réussit la gageure de saisir le mouvement, de représenter la tendance, de fluidifier l’espace, d’éclairer le terrain politique, au sens propre du terme. Le premier opus s’en était tenu à une sage observation aussi neutre que possible. Cet atlas adopte une méthode plus prospective et, partant, une démarche plus politique.

Avec "les chocs de la mondialisation", les auteurs commencent par montrer, exposition qui vaut démonstration, combien certaines tendances souterraines à l’œuvre tant dans les champs économiques que sociaux, sont en train de redistribuer les cartes de la puissance. Il est évidemment question de démographie, de comparaison des indicateurs de performance économique, mais aussi de données épidémiologiques (SIDA, épizooties…) ou stratégiques. Les changements de focale, du global au local, ouvrent d’ailleurs des perspectives intéressantes tant sur des villes ou micro-États topiques, Dubaï pour les échanges, Mexico pour la gestion de l’eau, mais aussi sur des phénomènes de réseaux transnationaux (mafias), sur l’émergence des géants chinois et indien ou sur des phénomènes de régionalisation moins convenus que l’Union européenne, tels que la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC).

La seconde partie, consacrée au "redéploiement des rapports de force", offre une représentation plus classique des problématiques de puissance et de partage des ressources dans le monde contemporain. Néanmoins, le déplacement des polarités entre un nouvel Est et un nouvel Ouest ou la résurgence du Grand Jeu en Asie centrale bénéficient d’un traitement particulièrement soigné. De même, on trouvera avec profit une réunion de cartes précises des grands réseaux de distribution d’énergie. Enfin, on ne peut que souscrire au choix de traiter à part le Moyen-Orient, avec un traitement rigoureux des principaux foyers de tensions que sont l’Irak, l’Iran, le Liban et la Palestine.

Enfin, l’Europe, qui vient clore cet atlas, est peut-être la partie qui suscite une réserve. Si les questions de la place de la Turquie et de l’intégration des Balkans sont fort bien traitées, on regrettera que l’espace européen créé par l’Union européenne soit quasiment tenu pour acquis. Par-delà les évidences de la zone euro ou de l’espace Schengen, une mise en lumière des forces centrifuges et des lignes de fractures internes et une utilisation de données économiques plus fines auraient sans doute permis d’en dresser un tableau moins convenu.

À cette réserve près, l’Atlas d’un monde qui change est un bel effort de représentation d’un monde dont l’actualité éclipse trop souvent la complexité. Un outil de décryptage à la fois exigeant et accessible dont on aurait tort de se priver.