Un entretien exclusif avec Emmanuelle Mignon
Ancien directeur des études de l’UMP
Directeur de cabinet du président de la République


Seconde partie de l'entretien
(Retourner à la première partie de l'interview avec Emmanuelle Mignon)




"Il y avait peu de tensions parce que des arbitrages étaient rendus : c’est l’absence de décision qui crée la tension."

Qui pilotait la réflexion autour du projet ? François Fillon était considéré comme le maître d’œuvre et le pilote ?

À cette époque là, j’étais en quelque sorte mise à disposition de François Fillon par Nicolas Sarkozy et nous travaillions ensemble. Je faisais le go-between en permanence entre Sarko et Fillon et très régulièrement, il y avait des réunions avec Sarko, soit tous les trois, soit avec la vingtaine de responsables politiques, afin que Nicolas Sarkozy arbitre sur certains sujets.


Y avait-il des tensions entre les différents groupes de travail, ou entre les experts sollicités et les hommes politiques ? Comment celles-ci ont été gérées ?

Il y avait peu de tensions parce que des arbitrages étaient rendus : c’est l’absence de décision qui crée la tension. François Fillon, en général, et Nicolas Sarkozy, pour les sujets les plus sensibles, rendaient des arbitrages. Ce qui faisait notre force c’est qu’il y avait toujours un accord sur le diagnostic, et même s’il existait des divergences sur les solutions, tout le monde convenait qu’il fallait proposer, avancer, et tenter des choses.


Par exemple ?

Par exemple, sur la carte scolaire. Tout le monde était d’accord avec le diagnostic sur le thème "l’école ne sait plus assurer l’égalité des chances", mais il existait des divergences entre ceux qui souhaitaient la suppression de la carte scolaire, et d’autres qui y étaient hostiles. Au moins, tout le monde était d’accord sur le fait qu’il fallait proposer quelque chose de très fort.



"Nicolas Sarkozy est plutôt un homme de l’écrit, donc il faut lui faire de l’écrit. En même temps, c’est aussi un capteur d’idées."

Vous avez organisé des rencontres entre des experts et Nicolas Sarkozy ? Yasmina Reza relate un petit déjeuner entre le candidat et des spécialistes de la Russie   . Etait-ce fréquent ?

Non, nous en avons organisé très peu en sa présence ; je connais très peu de gens qui ne sont pas tétanisés par le fait de voir Nicolas Sarkozy et qui gardent leurs moyens.


D’ailleurs, Yasmina Reza raconte qu’au début de la réunion avec les experts sur la Russie, Nicolas Sarkozy dit qu’il est venu pour écouter et que très vite, il est très impatient et que bientôt il monopolise la parole…

En tout cas, cela n’a jamais très bien marché en sa présence. Il préfère nettement l’écrit. Il lit beaucoup. Il préférait lire les livres des experts ou des intellectuels ou les comptes rendus que je lui en faisais.


Comment convainc-t-on Nicolas Sarkozy ? Il y a des hommes politiques qui ne peuvent être convaincus que par une explication orale, pas par une note. Certains politiques ne lisent pas les notes dont la longueur excède une page comme Lyndon Johnson ou Jimmy Carter, et d’autres, comme Lionel Jospin, souhaitaient disposer d’analyses écrites très longues.

Sarkozy n’est pas emmerdant. Il prend ce que vous lui donnez : si vous lui donnez un dossier énorme, il va le lire. Ça dépend du sujet. Aujourd’hui, il est président de la République, il est quand même très sollicité donc on ne peut pas lui faire lire n’importe quoi. Mais comme candidat, je lui transmettais pour chaque convention un dossier qu’il lisait et analysait. C’est plutôt un homme de l’écrit, donc il faut lui faire de l’écrit. En même temps, c’est aussi un capteur d’idées. Si une idée l’intéresse, il va la tester et il va passer quelques coups de fils pour avoir un ressenti.


À qui ? À vous ?

Non, pas forcément. Cela peut être Henri Guaino ou Claude Guéant, mais aussi des amis ou des chefs d’entreprise ; pour un truc culturel, par exemple, il appellera Hugues Gall [ancien président de l’Opéra de Paris]. Il teste énormément, sur presque tous les sujets. En revanche, ce qui ne marche pas, c’est le déjeuner de travail avec des intellectuels.


Il dispose donc de personnes ressources pour chaque thème ?

Oui, oui, bien sûr, il aime bien tester des idées.


Quel a été le rôle de la Fondation pour l’innovation politique, qui apparaissait comme le think tank de la droite, dans l’élaboration du programme ?

Zéro, zéro…


Vous l’avez zigouillée ?

Ouais… enfin moi j’y suis pour rien.


Avez-vous trouvé des pistes de réflexion dans les travaux de la République des Idées ?

Oui, bien sûr. Nous avons lu tous leurs livres. D’ailleurs, les livres sont là, sur mes étagères. [Elle les montre]


Ils vous les ont envoyés ?

Non, non, je les ai achetés !



"La gauche est moins conne."

Certains intellectuels ont-ils accepté de participer à vos réunions mais tout en refusant d’être cités ?

Jusqu’en novembre 2006, non ; après, les contacts ont été plus difficiles. En revanche, j’ai trouvé assez scandaleux l’appel de certains intellos, certains qui avaient travaillé avec nous, contre Sarkozy entre les deux tours. Des propos inacceptables ont été publiés, notamment sur Internet, et je crois savoir que Patrick Weil, est un peu à l’origine de cela, ou en a été un des acteurs, même s’il m’a dit avoir été piégé. Je me suis engueulée fortement avec lui [à ce sujet].


Comment avez-vous structuré le réseau des intellectuels ? Avez-vous identifié en amont des personnes qui ne s’étaient pas ralliées à Ségolène Royal et dont vous pensiez qu’elles pourraient évoluer ? 

Les choses ont été simples. À partir de novembre 2006, et plus encore pendant la campagne, les intellectuels de gauche qui trouvaient qu’il y avait des éléments intéressants dans le programme de Nicolas Sarkozy m’ont prévenue qu’ils ne signeraient rien en sa faveur ; je trouve cela tout à fait normal et légitime. Mais lorsque j’ai demandé aux quelques experts de droite de nous soutenir publiquement, il n’y a eu personne !


Cela signifie-t-il que la gauche arrive encore à structurer un réseau d’experts qui acceptent de la défendre publiquement, alors qu’à droite ce ne serait pas le cas ? Comment expliquez-vous cela ?

Eh bien disons que… Je la fais brève : la gauche est moins conne. Il y a, de tradition, plus d’idées à gauche, même si, et c’est ce qui est intéressant, Sarko inverse la tendance. Par ailleurs, la gauche sait défendre ses idées. C’est aussi une tradition forte chez elle.


On aurait plutôt tendance à dire l’inverse aujourd’hui, mais peut-être que chacun voit la bêtise de son côté. Le ralliement de certains intellectuels comme Alain Finkielkraut ou André Glucksmann a été largement médiatisé   . Ceux-ci ont-ils contribué à l’élaboration du programme ?

Ils ont participé davantage lors de la deuxième phase, la phase de campagne, et ont constitué des appuis pour les discours ; il s’agissait surtout de conseils par téléphone. Sarko les appelait pour leur demander : "Qu’est-ce que tu penses de ça ?"


Vous travaillez avec des intellectuels, des experts, tandis que la posture du candidat était plutôt anti-intellectuelle. Comment parveniez-vous à concilier ce discours du candidat avec le travail de fond que vous meniez ?

Je n’ai pas ressenti les choses comme cela. Quand Sarkozy critique la pensée unique, la cible est d’abord les technocrates, pas les intellectuels. Même s’il est dommage que les intellectuels qui ont alimenté notre projet ne soient pas – du moins pas encore – allés au bout de leur démarche en acceptant de nous rejoindre pour mettre en œuvre les réformes. Tout ce qu’a produit, par exemple, la République des Idées, va à l’encontre de la pensée unique. C’est le cas par exemple d’Eric Maurin, lorsqu’il écrit que la carte scolaire est un instrument qui aggrave la ségrégation urbaine et donc les inégalités ; c’est le premier à avoir écrit cela. Concernant les technocrates, les dix qui avaient des idées, qui voulaient changer réellement les choses – je vais dire un truc affreux – étaient dans mes groupes ; tous les autres, ils n’y étaient pas parce qu’ils n’avaient pas d’idées et ne veulent rien changer. Lorsque Nicolas Sarkozy est contre la pensée unique, il est contre ces technos qui ne veulent rien changer.



"Nicolas Sarkozy n’est pas une marionnette, et il n’a pas de gourou. En tout cas, moi, je n’ai jamais prétendu être le gourou de Sarko."

Comment avez-vous identifié tous ces experts qui ont participé à l’élaboration du programme ?

On les a cherchés par le bouche-à-oreille, on les a testés aussi. C’était méthodique. Sur chaque convention je voulais voir les cinquante personnes qui comptaient, donc on les a cherchées. C’était un travail en soi : un de mes collaborateurs s’occupait exclusivement de repérer les personnes qui comptaient.


Avec combien de personnes travailliez-vous à la direction des études de l’UMP ?

Au maximum, on a été une quinzaine à plein temps. Plus tous les membres des groupes de travail, ce qui faisait 250 personnes à peu près.


On a beaucoup parlé des positions d’Henri Guaino et des divergences qui pouvaient survenir au sein de l’équipe du candidat. Comment s’est bâti l’équilibre entre les différentes lignes directrices : républicaine, libérale, gaullisme social, souverainisme ?

C’est le patron qui a fait les arbitrages. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire tout à l’heure, il ne faut pas oublier que Sarko est à l’origine de toutes les impulsions fondamentales. Ce n’est pas une marionnette, et il n’a pas de gourou. En tout cas, moi, je n’ai jamais prétendu être le gourou de Sarko et je ne l’ai jamais été. En revanche, c’est une "éponge", c’est à dire qu’il absorbe ce qu’on lui donne et il fait la synthèse entre différentes positions, qui, d’ailleurs, ne sont pas toujours si éloignées que cela les unes des autres. Mais c’est lui qui fait les arbitrages.


Vous dites qu’il n’a pas de gourou, mais généralement les hommes politiques rechignent à avouer qu’ils ont des "plumes" et qu’ils n’écrivent pas eux-mêmes leurs discours. À l’inverse, Nicolas Sarkozy ne le dissimule pas et ne manque pas même de le faire savoir, au point parfois de rendre ses "plumes" célèbres.

Oui… Il a besoin de gens pour écrire ses discours comme tous les hommes politiques. Mais le discours du 14 janvier par exemple, qui est un discours exceptionnel, il sort d’abord des tripes de Sarko. Alors, après, il y a le talent d’Henri [Guaino], c’est vrai. Mais il n’y aurait jamais eu ce discours talentueux écrit par Henri Guaino si Sarko n’en avait pas été profondément à l’origine.


Comment rédige-t-il ses discours ?

Il dit : "Je vais faire un discours sur telle chose, voilà ce que veux dire." Il donne les cinq ou six idées principales, les mots clés, les concepts clés, les formules clés. Par exemple, c’est lui qui a inventé "travailler plus pour gagner plus". Je me souviens très bien. C’était à Marseille. Nous étions en réunion politique sur le projet. C’est là qu’il dit "la gauche propose de travailler moins et de gagner moins. Nous, nous allons proposer de travailler plus pour gagner plus". Après, vous repartez dans votre bureau et vous écrivez. C’est comme ça que ça se passe, c’est pas dans l’autre sens.


Un dossier critique vient de paraître dans la revue Esprit sur le "sarkozysme". Comment définiriez-vous ce "sarkozysme" ? C’est une méthode de travail ? Ce sont des hommes, ce sont des idées ? C’est quoi ?

Le sarkozysme, c’est la droite d’aujourd’hui, jeune, moderne, à la fois décomplexée et qui a su évoluer, par exemple sur la discrimination positive, qui découvre que l’idée de progrès est aussi, voire plus intéressante que celle de conservation. C’est une synthèse entre les différents courants de la droite, qui nous débarrasse, enfin je l’espère, des vieilles querelles entre les centristes, les gaullistes, les libéraux, les souverainistes etc. C’est ça, le sarkozysme. En même temps, et ce n’est pas contradictoire, c’est une conception très traditionnelle et très noble de la politique : la politique, ce sont des idées, un homme politique, c’est un homme qui a une vision, un idéal, et qui pense de toutes ses forces qu’il est non seulement possible, mais encore de son devoir, de le mettre en œuvre. Nicolas Sarkozy a une très haute idée de ce qu’est la politique.


J’aime bien la formule d’un grand critique américain, Harold Rosenberg, selon lequel : "Un homme politique c’est un intellectuel qui ne pense pas." Ce n’est pas une formule mesquine, je trouve même cette phrase assez profonde, puisque l’homme politique a besoin des idées, mais en fin de compte elles ne le définissent pas complètement puisque d’autres choses priment comme le rapport de force. Cette citation pourrait-elle s’appliquer à Nicolas Sarkozy ?

Je ne le dirais pas comme ça. L’intellectuel est dans l’analyse, alors que l’homme politique est dans l’action. J’avais été frappée par cette phrase dont je ne me souviens plus l’origine, mais qui disait en  gros : "la politique, c’est avoir de la vision. Et la vision, ce n’est pas prédire le futur, mais l’inventer." Le rôle de l’homme politique, c’est d’inventer le futur que l’on souhaite à ses concitoyens, c’est de dire "voilà où je veux aller" et de faire en sorte que le pays y aille. Je pense que l’homme politique, c’est celui qui a l’imagination pour inventer le futur. Et je crois que Sarko c’est vraiment, pour le coup, un homme politique.


Vous parlez de faire converger le pays et de faire adhérer les électeurs à des idées, mais Nicolas Sarkozy s’appuie beaucoup sur les sondages, au point que certains disent que les résultats des enquêtes d’opinion peuvent lui dicter sa conduite.

C’est vrai qu’il est attentif aux sondages. Il en fait faire beaucoup et nous en avons fait souvent durant la campagne pour tester toutes les idées. Mais on n’a jamais décidé des idées que l’on retenait en fonction des sondages. On a bâti des stratégies à partir des sondages, mais nous n’avons jamais décidé en fonction d’eux. Les sondages nous éclairent sur l’état de l’opinion, mais il y a des décisions que nous avons prises, des propositions que nous avons retenues, qui allaient clairement à l’encontre des résultats des sondages.


Vous êtes énarque, ancienne de l’ESSEC, maître des requêtes au Conseil d’Etat, enseignante à Sciences Po : c’est un parcours propice à la rupture dans le débat d’idées ?

Presque toutes les étapes de mon parcours ont été en rupture avec la trajectoire que les autres, qu’il s’agisse de ma famille, de mes amis, de mes supérieurs, avaient tracée pour moi. Je les ai toutes choisies.  



Sur le débat d’idées, le PS n’aura pas de problème pour le faire : il le fera même mieux que nous parce qu’il y a globalement plus d’idées à gauche. En revanche, ils doivent avoir le leader qui porte cela. Nous, on avait Sarko."

Le PS peut-il faire ce que vous avez fait ?

Je pense que oui. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi le PS ne m’a pas appelée pour venir le faire pour eux ! 


Vous cherchez un nouveau job ?

Je plaisante. D’autant plus qu’il y a un élément clé dans tout cela, c’est l’homme ou la femme, le candidat qui va vouloir et porter le renouvellement idéologique. Pour moi, la rupture était évidente parce que j’étais dans le sillage de Nicolas Sarkozy. Je n’aurais peut-être pas fait la rupture si j’avais été dans le sillage de Jacques Chirac. Le PS arrivera à faire ce que nous avons fait si quelqu’un arrive à faire ce que Sarko a fait : éteindre les querelles en portant vers autre chose, en donnant envie d’autre chose. Il faut qu’il y ait un leader pour faire cela. Sur le débat d’idées, le PS n’aura pas de problème pour le faire : il le fera même mieux que nous parce qu’il y a globalement plus d’idées à gauche. En revanche, ils doivent avoir le leader qui porte cela. Nous, on avait Sarko.


Sans polémiquer, quel jugement portez-vous sur la manière dont Ségolène Royal a géré la question des experts et le réseau des intellectuels ? Peut-être avez-vous lu le livre d’Ariane Chemin qui dit qu’on retrouvera peut-être un jour dans les placards du QG de campagne de la candidate les notes de prix Nobel qui n’ont pas été lues ?

Je crois qu’elle n’a pas fait ce travail ; j’imagine bien les notes qu’elle a reçues, moi j’en ai reçu des centaines, qui disaient tout et son contraire. Il faut tout lire, il faut trier. Elle, elle n’a pas eu le temps de le faire.


Parce qu’elle n’avait pas l’équivalent d’Emmanuelle Mignon ?

Non, parce qu’elle n’avait pas le temps, et parce que personne n’avait décidé de faire ce travail. Je crois que c’est ça. Elle a hérité d’un programme du PS qui n’était ni fait, ni à faire. Ils n’ont pas fait ce travail, et c’est leur problème. Mais je pense qu’elle le fera pour 2012.


L’exemple du travail que vous avez fait pour l’UMP est-il répliquable à la France ? Pensez-vous qu’il faille développer des think tanks en France et, par exemple, faire émerger une expertise extérieure dans la fonction publique en réformant les centres d’analyse et de perspectives ? Avez-vous un projet par rapport à cela ?

Ce n’est pas en réformant les différents centres d’analyse des ministères qu’on va y arriver. De toute manière, ces centres d’analyses et de prospective ne servent à rien. Ils sont gérés par des technocrates qui n’ont pas d’influence et, pour le coup, dans les ministères, il y a un choc frontal de calendriers entre ces centres d’analyse qui travaillent sur le long terme, et les ministres qui sont sur le court terme. Donc, ce n’est pas la solution. La solution, c’est qu’après la phase de réflexion et de propositions dans des partis politiques plus solides, plus forts, le travail avec les intellectuels se poursuive dans les cabinets ministériels. Bien que cela ne me plaise pas, c’est là en effet que se situe le pouvoir. C’est donc là qu’il doit y avoir des habitudes de travail avec les intellos.


Vous le recommandez aux ministres ?

Je le recommande, même si cela ne se fait pas, pas assez en tout cas, parce que c’est compliqué à mettre en œuvre. L’intello, c’est toujours l’"emmerdeur", celui qui ramène l’action à ses fondements, à ses buts, qui critique les solutions de facilité ; qui est en décalage permanent avec le temps de l’action et le temps des médias.


Beaucoup d’intellectuels disaient, pendant la campagne, que "le téléphone sonnait plus à droite qu’à gauche". Il semblait que vous, ou vos collaborateurs, les appeliez beaucoup, les consultiez beaucoup. C’est plutôt un compliment.

Oui, je prends cela comme un compliment.



"C’est aussi une certaine conception du pouvoir : je pense qu’un conseiller est là pour servir, non pas pour se mettre en avant. Maintenant, si le patron accepte, eh bien, le patron accepte…"

Vous faites un travail invisible pour un candidat, et maintenant un président, très visible. Comment vit-on cela ? Cela peut-il expliquer la présence dans les médias de conseillers du président, comme Henri Guaino et Claude Guéant, parfois aux dépens de ministres ou des élus ? Comment vivez-vous ce travail invisible ?

D’abord, cela a des avantages. Le fait d’être invisible vous protège aussi, vous préserve. Par exemple, je n’ai lu aucun livre sur la campagne…


À part le Yasmina Reza, il y a eu pour l’instant peu de livres intéressants…

Même celui-là je ne l’ai pas lu. Parce que c’est partiel, partial parfois. Parce qu’aucun ne peut refléter ce que j’ai vécu. Ensuite, c’est aussi une certaine conception du pouvoir : je pense qu’un conseiller est là pour servir, non pas pour se mettre en avant. Maintenant, si le patron accepte, eh bien, le patron accepte…


Vous prenez des notes en ce moment pour pouvoir raconter par la suite cette expérience, écrire un Verbatim ?

Comme tout le monde, oui, j’ai envie de raconter cela. En même temps, j’hésite aussi, parce que nous sommes tous très subjectifs. Même moi, même Claude Guéant, nous ne connaissons pas tout. Il y a des choses qu’on ne sait pas, qu’on n’a pas sues et qu’on ne saura jamais. Nous ne sommes pas tout le temps, 24 heures sur 24, derrière le patron. Disons donc que j’ai envie d’écrire ce que j’ai vu et vécu pendant l’élaboration du projet et pendant la campagne, mais je suis assez lucide pour savoir que ce sera aussi subjectif et partiel.


Une dernière question pour conclure. Avez-vous l’impression que tout ce travail intellectuel avec les experts réalisé durant la campagne est correctement fait aujourd’hui, à la présidence de la République, à Matignon et dans les principaux ministères, maintenant que vous êtes au pouvoir ?

Le projet présidentiel est considérable. Nous avons eu du temps pour le concevoir et l’écrire. Les réformes que nous avons imaginées s’adressent aux ressorts les plus fondamentaux de notre pays. C’est un travail de longue haleine. Ce qui est important, c’est d’enclencher le mouvement de changement pour rétablir la confiance de notre pays en lui-même et consolider son envie d’aller de l’avant. Je me bats tous les jours pour que la flamme du projet et de la campagne reste vaillante. C’est difficile parce que ceux qui ont conçu cette flamme, ont veillé sur ses premières lueurs, sont beaucoup moins nombreux que ceux qui aujourd’hui sont censés mettre en œuvre le projet. Mais le plus ardent défenseur du projet reste le président lui-même.


Propos recueillis par Frédéric Martel et Martin Messika.


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Pour aller plus loin :

> Emmanuelle Mignon : Bio-Express
> Lire la critique du nouveau livre La Téléprésidente de Philippe Guibert
> La critique du livre d'Ariane Chemin et Judith Perrignon, La Nuit au Fouquet's
> La présentation des dossiers des revues Esprit et Mouvement sur le Sarkozysme et la New Droite
> La critique du pamphlet d'Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?
> La critique du livre de Christian Salmon, Storytelling
> La critique du livre de Yasmina Réza, L'aube le soir ou la nuit
> nonfiction.fr : tout savoir sur le site, son équipe et ses développements à venir : nonfiction.fr : 2008.