Depuis le milieu du mois de janvier, diverses secousses affectant le petit monde des professeurs de Sciences Economiques et Sociales au lycée ont refait surface dans le débat médiatique. Nonfiction, qui en avait déjà parlé précédemment (voir déjà ici, là ou encore là ), résume les choses pour vous.
Dans le cadre de la réforme du lycée, deux grandes évolutions affectent les professeurs de Sciences Economiques et Sociales.
D’une part, la réforme du lycée en Seconde générale et technologique introduit des « enseignements d’exploration obligatoire » que sont les SES et les PFEG (Principes Fondamentaux de l’Economie et de la Gestion). Un élève de Seconde générale ou technologique a pour obligation de choisir au moins un de ces deux enseignements parmi ses options. Dans le même temps, la durée du cours passe de 2h30 à 1h30 hebdomadaire . De plus, la filière ES est modifiée pour le cycle terminal, puisque les SES perdent leur option spécifique en Première (les Sciences Politiques, soit 2h hebdomadaires par semaine en moins par rapport aux élèves choisissant auparavant l’option) ; et puisque la filière ES voit ses options changer en classe de Terminale et subit une réduction des horaires consacrés à ces options (de 2h à 1h30 hebdomadaire), ce qui n’est pas le cas dans les filières L et S .
D’autre part, la réforme du lycée s’est accompagnée d’une refonte des programmes de la Seconde à la Terminale. Après une opposition importante (menée notamment par l’Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales) suite à la première version du programme de Seconde (duquel avait initialement disparu les notions de chômage et de pouvoir d’achat ), une seconde version a finalement été publiée au Bulletin Officiel fin avril 2010, suscitant moins de tensions. Le calendrier de la réforme du lycée a imposé aux membres du Groupe d’experts chargé de la confection des nouveaux programmes de publier rapidement une nouvelle version du programme de Première (tandis que celui de Terminale est attendu pour la fin du mois de février ou le début de mars). Après une consultation de deux semaines sur une version préparatoire, rapidement critiqué par l’Apses (voir ici ou là), une seconde version peu amendée a été présentée au vote du Conseil Supérieur de l’Enseignement début juillet et publiée au Bulletin Officiel en septembre 2010. Ce nouveau programme suscite encore des critiques dans le milieu des professeurs de SES (comme en témoigne la pétition de l’APSES pour un moratoire rassemblant la signature de la moitié des professeurs enseignant dans la matière), relayées ponctuellement depuis septembre 2010 (dans Challenges, puis à l’occasion des Journées de l’Economie de Lyon dans La Tribune, Les Echos ou L’Est Républicain ).
Début janvier, les polémiques suscitées par ces deux grandes évolutions ont refait surface progressivement dans le débat médiatique. Tout a débuté par l’annonce par l’APSES d’une proposition de contre-programme en Terminale, anticipant sur la copie que le Groupe d’experts va proposer fin février. Cette publication a intéressé initialement le journal La Tribune et aurait pu rester lettre morte.
Assez étonnamment, sans doute par un effet d’emballement médiatique (un journal suscitant l’envie des autres journaux de traiter du même sujet), une première vague médiatique s’est remparée mi-janvier de la question de l’enseignement des SES au lycée, en repartant des évolutions du programme de Première par la lorgnette de la suppression de la notion de classes sociales dans ce programme (ce qui est un point périphérique et non central dans les critiques mentionnés auparavant, contrairement à ce qu’avancent les divers journalistes) : deux entretiens radiophoniques (RTL et Europe 1) et une tribune beaucoup plus nuancée publiée par la Présidente de l’APSES dans L’Humanité ont relancé le débat public les 12 et 13 janvier.
Le soufflé médiatique est alors retombé mais diverses publications ont remis au goût du jour les critiques globales à l’encontre de l’encyclopédisme non pluraliste du programme de Première en SES, de son mode d’élaboration, et plus généralement contre le manque de pluralisme dans l’enseignement des sciences économiques et sociales en France. C’est ce dont témoignent une autre tribune publiée par la Présidente de l’APSES dans Le Monde du 17 janvier et un entretien au Café Pédagogique le 24 janvier ainsi que divers appels de l’enseignement du supérieur (avec les soutiens de l'Association Française d'Economie Politique, de l’Association des Sociologues Enseignants du Supérieur et de l’Association des Enseignants Chercheurs en Science Politique ou avec la création de l’association PEPS-Economie (Pour un Enseignement Pluraliste dans le Supérieur en Economie), résurrection du mouvement Autisme-Economie du début des années 2000 critiquant l’enseignement supérieur en économie) et divers comptes rendus et points de vue (très complet sur le site de l’Idies ou du sociologue Pierre Mercklé).
Depuis samedi 5 février, la vague a alors repris de la vigueur suite au déroulement à Paris des Etats Généraux des SES (relatés rapidement ici et là et en cours de transcription intégrale) suite à l’initiative de l’APSES. C’est en effet au cours de ces Etats Généraux rassemblant environ 200 personnes qu’a été lancé l’Appel de Vitruve rassemblant les signatures de grandes figures des sciences humaines françaises et des présidents des principales associations en sciences humaines : Christian Baudelot , Stéphane Beaud , Julien Fretel , Marjorie Galy , Maurice Godelier , Françoise Héritier , Bernard Lahire , Nonna Mayer , André Orléan , Thomas Piketty , Pierre Rosanvallon , Jean-Claude Val et Marie-Claire Villeval . Cet appel vise uniquement à demander un meilleur traitement de l’enseignement des SES sur des questions de structure : comme il est écrit en conclusion, les signatures de l’Appel de Vitruve demande « au Ministre de l’Education Nationale que les SES, plébiscitées par les lycéens, ne soient plus traitées comme un « enseignement d’exploration » parmi d’autres mais soient intégrées dans le tronc commun de la classe de seconde avec un horaire revalorisé, comprenant des dédoublements obligatoires ».
Le traitement médiatique des Etats Généraux se fait depuis le relais du débat portant sur les structures d’enseignement mais également de l’autre débat portant sur le contenu des programmes et leur mode d’élaboration. On voit ainsi que les deux débats sont liés dans tous les journaux relatant l’événement. Aussi bien par les rédacteurs bienveillants à l’égard du mouvement, comme le journal L’Humanité du 5 février ou le blog de l’Idies du 8 février, que par les rédacteurs neutres, comme le journal Le Monde du 5 février (version papier et électronique), La Tribune du 6 février ou Les Echos du 7 février. C’est également la position de l’APSES de relier les deux débats, comme en témoigne leur dernier communiqué de presse du 7 février. Seule la chronique de Jean-Marc Vittori dans Les Echos du 8 février évacue la question des structures en se centrant sur une critique des « professeurs d’économie » sans mentionner précisément leur position (si ce n’est sur un mode caricatural).
Bref, une affaire à suivre. Et ce d'autant plus que s'est tenu aujourd'hui le "Colloque d’urgence pour défendre les sciences économiques et sociales au lycée organisé" par l’AECSP - AFEP - ASES.