Au fil d’entretiens donnés tout au long d’une carrière riche en métamorphoses, les multiples facettes et langages d’un artiste aussi essentiel qu’insaisissable.

Ces derniers temps, la biographie de François Bon et le dernier film de Todd Haynes, I’m not there, avaient déjà donné matière à discussion autour de la folk idol du XXe siècle. Le dernier ouvrage sur le sujet, Dylan par Dylan, en rajoute une (épaisse) couche.

Né le 24 mai 1941, Robert Zimmerman sort son premier album, Bob Dylan, en 1962, et s’inscrit comme leader de la protest song aux États-Unis grâce à son deuxième opus, The Freewheelin’ Bob Dylan. On connaît la suite : le folk, la paranoïa, Newport, le mariage, Blonde on blonde, le folk-rock, les enfants, l’accident de moto, le divorce, le christianisme, le gospel, le judaïsme, les tournées sans fin, la solitude… Autant d’éléments clés que l’on retrouve dans la trentaine d’interviews réunies par Jonathan Cott, journaliste à Rolling Stone.

Ces entretiens, classés de façon chronologique, se révèlent, de prime abord, très inégaux, tant du point de vue de la longueur que de l’intérêt et, surtout, de l’intelligibilité. On remarque heureusement que Dylan, se bonifiant avec le temps "comme le vin", s’exprime de façon de plus en plus claire. Cette forme de dialogue permanent, bien que parfois fatiguante, s’avère passionnante. Y sont abordés des sujets qui ont, pour lui, une valeur quasi obsessionnelle – Woody Guthrie, le public, Allen Ginsberg, et, surtout, cet oscillement permanent entre le sacré et le profane, la poétique et la guitare, les mots et les sons. On se retrouve donc, via les questions des journalistes, face aux états d’âme d’un artiste lunaire aux multiples facettes, et aux multiples langages.

Ainsi, suivant une même forme narrative – celle de l’interview –, ces variations font et défont le personnage interrogé. Dylan apparaît successivement angoissé, drôle, lugubre, laconique, révolté – ou tout cela à la fois, comme dans l’entretien avec Nat Hentoff de 1966. L’interview de A.J. Weberman, "dylanologue" agressif et intrusif (1971), dévoile toute la force de cristallisation que pouvait engendrer le personnage. Le dialogue avec Jonathan Cott (1978), s’attardant notamment sur Renaldo et Clara (le deuxième court-métrage réalisé par Dylan), recèle des formules quasi magiques, telles que : "On peut tout rater parce qu’on n’est pas là" ou "L’art est le mouvement perpétuel de l’illusion"… Illusion constamment entretenue par Dylan, qui dit tout et son contraire, quitte à mentir, et réécrit inlassablement sa propre histoire.

Dans le registre humoristique, l’entretien radiophonique avec Bruce Heiman (1979) s’apparente à du délire prosélyte chrétien. L’interview de Kurt Loder (1984) offre, quant à elle, une jolie explication de texte de l’homme Dylan. Enfin, A Short Life of Trouble, entretien de 1987 transformé par Sam Shepard en saynette poétique et sensible, s’inscrit dans une empathie qui, s’imposant presque à ce stade du livre, ne nous gêne qu’à peine.

Car ces presque six cents pages ont visiblement pour but non seulement de faire mieux comprendre le(s) personnage(s) de Dylan, mais aussi d’y faire adhérer. L’objectif est en quelque sorte atteint : l’univers dylanesque nous emporte et nous charme. Malgré une impression, certes confortable, de déjà vu…


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crédit photo : idealterna / flickr.com