François Bon revient sur la vie de Dylan dans une biographie poignante et rock.

"Sa vie à lui, ma doc, j’ai tout parfaitement en tête, mais ce qui s’est passé dans l’écriture, c’est hors de ma portée." confie François Bon dans une récente interview menée par Philippe Le Boulanger pour l’Art à l’Ouest. Son livre apparaît comme un surgissement, puissant, presque à l’image de la technique d’écriture des poètes beat. Pourtant, l’écriture est logique, maîtrisée : le lecteur ne perd jamais le fil, si ce n’est le temps d’un détail technique, car tout a son importance pour comprendre qui est l’insaisissable Bob Dylan, celui qui change d’identité plus souvent que de chemise. Le livre est dense, détaillé à l’extrême et pourtant on voit bien Dylan faire son chemin (de croix ?) dans la vie, de ville en ville, de succès en ratage, de coup de gueule en cure de silence. Bob Dylan, une biographie n’est pas une littérature de l’archive, c’est une littérature rock, une biographie fictionnelle, une composition littéraire qui laisse toujours entendre une autre musique.
 

Dark Side
 

"C’est en se cherchant soi-même qu’on trouve Bob Dylan. Vieux compagnon, compagnon sombre. Parfois énervant, toujours instable. Ce n’est pas le meilleur côté de nous-même, celui par lequel il nous touche"    : Bob Dylan comme objet de l’introspection.

 

François Bon n’en est pas à sa première œuvre au sujet de Bob Dylan. En février 2007, il obtient le Prix radio S.A.C.D.   pour le feuilleton radiophonique sur le chanteur, en collaboration avec Claude Guerre   . Bob Dylan, une biographie est le second projet d’une trilogie inaugurée par la biographie des Rolling Stones   et qui se conclura par une biographie de Led Zeppelin, en cours d’écriture. La place centrale de Dylan dans cette série est un indicateur supplémentaire du rapport affectif que Bon entretient avec Dylan, à peine son aîné   . Dylan, le gamin à casquette d’ouvrier qui devient un homme riche est sans cesse mis en parallèle avec Rimbaud, autant pour le contenu littéraire de ses textes que pour une carrière précoce, très vite abandonnée. Dylan n’est pas "il" mais très souvent "on", ce qui donne un effet de proximité. François Bon questionne les biographies de Dylan en en citant presque une à une leurs lacunes et leurs particularités ; il questionne aussi les Chroniques, l’autobiographie de Dylan avec ses effets de mise en scène, surjoués.

 

Bon nous indique quelques clés qui permettent sans doute de pénétrer son œuvre dense, dans laquelle le discours direct, dans tous les sens du terme, est rare. Discours direct sans lequel une littérature, même fictionnelle est menacée d’aridité. La vie ne manque pourtant pas car on rencontre sur le chemin de Bob Dylan des personnages esquissés mais très faciles à se représenter. "On n’a pas d’autre choix, dans une biographie qu’installer les personnages à mesure qu’ils apparaissent", confie le narrateur. S’il s’agissait d’un film, il y aurait du monde au générique, pense le lecteur. Une cour des miracles des musiciens de bars oubliés aux stars comme Nico et Marianne Faithfull, sans oublier Joan Baez que l’on prend plaisir à croiser. Bon se fait exégète littéraire là où Dylan – comme souvent quand on lit sa vie – se tait : "Le génie de Dylan, c’est de ne pas dévoiler ses sources."


La biographie fictionnelle de François Bon, quand bien même elle oublierait son sujet, réhabilite en douceur la figure de l’auteur. Que les choses soient claires, Dylan a des lettres et connaît ses classiques. Si Dylan est mis sur un piédestal, Bon ne manque pas de modestie et informe le lecteur des éventuelles lacunes de son œuvre. Si elle est utile pour lire les Chroniques de Dylan, c’est bien, sinon tant pis. Plus tôt dans son texte, Bon se débarrasse d’une pique des empêcheurs de tourner en rond, théoriciens avant tout : "on en connaît tous de ces sermonneurs à la Pankake, dans la littérature aussi : tellement facile, pour ceux qui restent à distance du faire." Un bon défi aux critiques qui ne se sont pas lancés dans pareille entreprise. Après tout, François Bon n’a garanti aucun résultat. Pourtant, le lecteur quitte le livre Dylan en tête. Bon annonçait un style musical, une écriture du rock : avec du "bruit" et des "phrases en distorsion.". Cet aspect de l’écriture est peut-être à l’image de Bob Dylan lui-même – musical, discret. Après, on referme un livre qui n’est pas fini d’écrire car la saga Dylan est infinie, comme les chansons qu’on a en tête, et dans la ritournelle, chacun aura réussi à se mettre à l’écoute de son Dylan, que ce soit le provocateur collectionneur de clés à molette, le milliardaire isolé dans son studio ou le gamin au chapeau de cowboy dont le job d’été est d’amuser le touriste à coups de rengaines folks.