Pérenniser le financement de l’aide juridictionnelle et garantir l’accès de tous au service public de la justice : voilà une non-priorité pour ministres de la justice en série depuis 2007.

 

Financer l’aide juridictionnelle, prévue par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, c’est permettre aux citoyens aux revenus les moins élevés de conserver la possibilité de saisir le juge ou de se défendre devant ce dernier, et rendre effectif le droit à un procès équitable et l’accès au droit, deux principes prévus et protégés par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme du 4 novembre 1950.

 

En 2009, ce service public a bénéficié à 900.000 personnes environ, contre 705.000 en 1999. Cependant, son budget est passé de 320 millions € en 2009 à 270 millions € en 2010.

 

Pour bénéficier de l’aide juridictionnelle, compte tenu du barème applicable actualisé à compter du 1er janvier 2011, il ne faut pas percevoir plus de 1.393 € de revenus mensuels mais 80 % de l’aide juridictionnelle est totale pour les personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 929 €. Cela signifie que si les personnes dont les revenus sont très faibles, voire inexistants, peuvent être assurées de bénéficier de l’aide juridictionnelle, cela est de moins en moins vrai pour de très nombreux justiciables de classe moyenne dont les revenus seraient supérieurs à 1.400 € mensuels.

 

Pour faire face aux besoins et assurer la pérennité du système, le Conseil national des barreaux (CNB) a, de longue date, proposé plusieurs pistes de financement complémentaire. Par exemple, lors de son assemblée générale en date du 26 septembre 2009, le CNB s’est déclaré favorable à la taxation des actes juridiques et a proposé des mesures fiscales d’accompagnement. De plus, il a proposé que le financement du taux horaire soit effectué en deux volets (une partie par l’Etat, une partie par le financement complémentaire garanti par l’Etat et sans désengagement de la part de ce dernier).

 

D’autres pistes de financement sont sur la table, en particulier en provenance des avocats, principalement concernés par l’enjeu de l’aide juridictionnelle. En effet, le dévouement des avocats, auxiliaires de justice aux avant-postes de la défense du citoyen, mais aussi celui des huissiers de justice, celui des experts judiciaires, ne serait que mieux reconnu et encouragé par une augmentation du budget consacré à ce domaine, si l’on veut bien garder à l’esprit le fait que l’aide juridictionnelle n’assure nullement un revenu décent aux professionnels du droit en rapport avec le temps et l’expertise consacrés par eux à la défense.

 

Le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau de Paris, Monsieur Christian Charrière-Bournazel, du temps de son Bâtonnat, jusqu’à la fin de l’année 2009, a proposé la "création d’une contribution qui serait perçue sur toutes les conventions de publicité et / ou d’enregistrement, c’est à dire les contrats de société, les contrats de cession de fonds de commerce ou d’actifs, les ventes immobilières." De plus, il proposait que, "sur tous les contrats d’adhésion proposés par les assureurs et les banquiers, (cette contribution) serait d’un montant de quelques euros, affectée à l’aide juridictionnelle et reversée au Trésor public pour être répartie entre les fonds AJ entre les CARPA. Cette contribution de solidarité, payée à l’occasion de la signature d’une convention, permettrait de financer le besoin que tout citoyen peut connaître un jour d’agir pour sa défense lorsqu’il n’a pas les moyens d’en supporter seul le coût."   .

 

Le Syndicat des avocats de France va plus loin et propose, notamment, de taxer tous les actes juridiques, de taxer les services privés de protection juridique proposés aux particuliers, ou encore de faire contribuer les plus importants cabinets d’avocats d’affaires.

 

Le gouvernement actuel propose de laisser à la charge des justiciables une partie des frais de justice (environ 10 €), en somme une forme de bricolage sur le mode du ticket modérateur en vigueur pour les dépenses de santé. Un tel dispositif ne manquerait pas de pénaliser les personnes aux revenus les plus faibles et d’entretenir la discrimination dans l’accès à la justice, comme prévient M. Jean-Louis Borie, Président du SAF, dans l’article susmentionné. Dans son article dans Le Monde du 14 juillet 2010, Alain Salles rappelait que "déjà en 2007, dans un rapport, le sénateur UMP Roland du Luart avait proposé l’instauration d’un ticket modérateur de 40 euros pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. L’idée avait été reprise par la ministre de la justice de l’époque, Rachida Dati, à la tribune de l’Assemblée, déclenchant alors un véritable tollé."

 

Il faut constater que le naufrage programmé du système d’aide juridictionnelle français n’a pas suscité la mobilisation qui s’impose de la part du pouvoir exécutif.

 

Les chiffres collectés et analysés par le Conseil de l’Europe dans le rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) (4ème Rapport d'évaluation des systèmes judiciaires européens - Edition 2010 (données 2008) : Efficacité et qualité de la justice) sont éloquents et soulignent l’important retard national dans ce domaine.

 

Le montant moyen alloué par affaire par le budget public de l'aide judiciaire en 2008 s’est élevé à 353 € en France, une somme ridiculement faible par comparaison avec les niveaux de financement en Finlande (663 €), en Italie (787 €), aux Pays Bas (1.029 €), au Royaume Uni (1.131 €), en Suisse (1.911 €), quand la moyenne du Conseil de l’Europe s’élève à 536 € et la médiane à 353 €. De fait, la France se situe dans la même catégorie que la Belgique (397 €), l’Espagne (349 €) et le Portugal (331 €), à peine plus haut que la Bulgarie (113 €), le Montenegro (132 €), derrière encore la Macédoine (614 €). Le rapport du Conseil de l’Europe précise que, pour l’année 2008, "l'Allemagne a notamment indiqué avant le début de l'exercice que, compte tenu de la charge de travail démultipliée par l'organisation fédérale du pays (chaque Land est compétent pour collecter les données judiciaires" (page 7, du rapport).

 

L’étude comparative menée par le Conseil de l’Europe étant biennale, il convient d’attendre encore un an avant de prendre connaissance des chiffres de l’année 2010 afin de jauger l’évolution de la position française en Europe.

 

Au reste, il faut craindre que ces chiffres ne soient pas meilleurs avant longtemps, en dépit des affichages politiques grandiloquents assenés depuis 2007 ("les assises de l’accès au droit et de l’aide juridictionnelle", 30 janvier 2007, tenues par l’ancien ministre de la justice, M. Pascal Clément). L’expression "aide juridictionnelle" n’a figuré dans aucun discours des représentants du pouvoir exécutif prononcés à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation depuis janvier 2008 (François Fillon en 2008, Nicolas Sarkozy en 2009, François Fillon en 2010, Michel Mercier en 2011)…

 

Lire le dossier de Nonfiction.fr sur l’action de Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et du droit :

 

- Edito : "Nicolas Sarkozy et le droit : une rupture consommée", par Daniel Mugerin.


- Un point de vue sur le populisme pénal du président de la République, par Adeline Hazan, maire de Reims et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

- Une critique du numéro de la revue Hommes et Liberté sur la justice pénale, par Charles-Edouard Escurat.

- Une analyse juridique de la politique d’immigration et d’asile de Nicolas Sarkozy, par Aurore Lambert.

- Une mise en perspective de l’application de la loi Hadopi et de ses implications, par Bérengère Henry.

- Une interview de Maxime Gouache, président du Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI) et Bruno Vincent, président des anciens du GENEPI, à propos de la politique du gouvernement en matière de justice depuis 2007.

- Une recension du dernier numéro de la revue Pouvoirs sur "La Prison", par Blandine Sorbe.

- Une interview de Maître Virginie Bianchi à propos de la rétention de sûreté, par Yasmine Bouagga.

- Une brève sur le livre d'Olivier Maurel, Le Taulier. Confessions d'un directeur de prison, par Yasmine Bouagga.

- Une interview du sociologue Philippe Combessie autour de son livre Sociologie de la prison, par Baptiste Brossard et Sophie Burdet.