Préambule :

Pour mémoire, le dispositif HADOPI est constitué par :
- la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur InterNet appelée HADOPI (I) parce qu’elle porte création d’une Autorité administrative indépendante, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, l’HADOPI.
- la loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur InterNet appelée  HADOPI II.

Ces lois ont, pour l’instant, été précisées par neuf décrets.

Schématiquement, le système HADOPI , à des fins de protection des droits d’auteur et des droits voisins, a instauré une contravention pour défaut de négligence caractérisée à l’encontre des propriétaires d’un accès à InterNet non sécurisé ou mal sécurisé à partir duquel ont été réalisés des actes de téléchargements illégaux  (qui ne sont pas de son fait) dans l’année suivant la réception d’une lettre recommandée dans laquelle HADOPI  lui conseillait fortement la mise en œuvre d’un moyen de sécurisation de son accès. Cette infraction peut être sanctionnée par une amende correspondant aux contraventions de 5ème classe à laquelle peut s’ajouter la coupure de l’accès à InterNet pendant une période maximale de 1 mois.
Les actes de téléchargements peuvent être également punis d’une coupure InterNet sur une période maximale d’un an en complément des sanctions pénales prévues par le code de la propriété intellectuelle. La loi HADOPI (II)  soumet les actes de téléchargement illégaux à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale.

Outre la surveillance et la sanction du téléchargement illégal, l’HADOPI a pour mission de promouvoir le développement de l’offre légale et de réguler l’usage des mesures techniques de protection.

Perspectives :

HADOPI aurait pu être le nom d’une créature d’un roman d’anticipation. Malheureusement, HADOPI est devenu l’allégorie bien réelle de l’évolution de la société française dans le déni progressif des fondements de l’ordre juridique démocratique. 

Faut-il, aujourd’hui, revenir sur l’épisode HADOPI alors que tout semble avoir été dit, avoir été écrit ? Oui. Lorsque les libertés sont menacées, aucune analyse, même rétrospective, n’est superflue. Faut-il s’étendre sur les débuts laborieux de la mise en place du système HADOPI?  Pas nécessairement. Cet échec doit plutôt être saisi comme une exhortation à enfin ériger la culture au rang de bien commun notamment grâce à des solutions alternatives à la protection exclusive des intérêts de l’industrie culturelle  

 
 

HADOPI : un pare-feu protégeant les intérêts de l’oligarchie culturelle ?

 

La révolution numérique est une chance pour la démocratie. Grâce à Internet, les citoyens peuvent s’informer, participer aux débats d’actualité, collaborer à des projets d’intérêt général…    L’e-démocratie aurait pu alors constituer le ressort approprié de la réflexion quant aux modalités de sauvegarde de la création culturelle au sein de l’univers numérique. Malheureusement, le gouvernement n’a ni impulsé le débat sur la Toile, ni pris en considération les e-propositions constructives déposées par des internautes engagés comme il  avait pu le faire à l’occasion du débat sur l’identité nationale. De surcroît, le législateur, malgré la complexité grandissante de notre environnement, a privilégié le lobbying à l’expertise pluraliste. En effet, le gouvernement a confié à Denis Olivennes, ancien PDG de la FNAC, la rédaction d’un rapport préparatoire à la loi à et a tenu tout représentant des internautes à l’écart de la négociation et de la signature des accords de l’Elysée du 23 novembre 2007   . Ces accords, prologue à la loi HADOPI, ont été négociés et signés entre les ayants droits et les fournisseurs d’accès Internet. L’exclusion de tout représentant des internautes amateurs de culture et la dénonciation par les fournisseurs d’accès Internet (FAI) de ce guet-apens conventionnel  dès le lendemain de sa signature, interrogent la réalité du caractère consensuel dont l’Elysée s’est enorgueilli.

 

Le "bug" démocratique s’est propagé au sein des hémicycles : a été votée une loi manifestement contraire aux libertés et aux droits fondamentaux tels que consacrés par le Préambule de notre Constitution et par les engagements internationaux et communautaires de la France et ce, en dépit d’un avis plus que réservé de la CNIL et de la contestation de nombreux artistes et de la communauté des internautes.  En effet, la loi HADOPI (I), avant sa censure partielle par le Conseil Constitutionnel, autorisait l’HADOPI, autorité administrative, à ordonner la coupure de l’accès à Internet à partir duquel avaient été commis, postérieurement à l’envoi d’un mail ou d’un courrier d’avertissement, des actes de téléchargement illégal que son auteur soit ou non le propriétaire de cette connexion. Ainsi, pesait sur le propriétaire de la connexion une présomption de culpabilité résultant de l’obligation instituée par la loi HADOPI de surveiller les utilisations de son accès Internet. Cette présomption pouvait être cependant cassée si le propriétaire de la connexion apportait la preuve que le téléchargement illégal n’était pas de son fait ou qu’il avait installé un système de sécurisation de sa connexion. Ainsi, contrairement aux principes fondamentaux de la procédure pénale et des procédures relatives aux sanctions administratives, la loi HADOPI instaurait une présomption de culpabilité et faisait peser la charge de la preuve de son innocence à l’accusé (cette violation juridique de la présomption d’innocence s’inscrit d’ailleurs dans la continuité des déclarations de culpabilité d’Yvan Colonna et de Dominique de Villepin en amont de tout jugement auquel s’est livré Nicolas Sarkozy). 

 

Le Conseil Constitutionnel a, dans sa décision du 10 juin 2009, censuré la loi HADOPI sur les points ci-dessus évoqués aux motifs que :  étant donné qu’ "en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit (la libre communication des idées et des opinions) implique la liberté d'accéder à ces services". Par conséquent, seul le juge judiciaire pouvait décider de la coupure de la connexion à des fins de sanction. "En vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive".   Ayant tiré tous les enseignements juridiques de cette décision de censure, le législateur s’est efforcé, dans la loi HADOPI II, de concilier les exigences du Conseil constitutionnel avec sa volonté de priver de son accès à Internet la personne qui n’a pas sécurisé sa connexion afin d’empêcher tout téléchargement illégal. La ruse juridique a consisté à créer le délit de contravention pour défaut de négligence caractérisée résultant de l’incrimination du non respect de l’obligation de surveillance prévu par la loi HADOPI (I). Cette pénalisation de ce manquement entraîne ainsi le transfert de compétence de l’HADOPI vers le juge judiciaire, seul compétent pour décider de la coupure d’Internet conformément au raisonnement du Conseil Constitutionnel. Mais cette incrimination conduit au durcissement du régime de cette obligation. D’une part, le propriétaire de la connexion à partir de laquelle ont été réalisé des téléchargements illégaux (de son fait ou non) dans l’année suivant la présentation d’une lettre recommandée de l’HADOPI encourt, en sus de la coupure de sa connexion, une amende correspondant aux contraventions de 5ème classe.  D’autre part, la loi HADOPI II ne permet plus au propriétaire de la connexion Internet de s’exonérer de sa responsabilité (devenue pénale) en prouvant que les actes de téléchargements illégaux n’étaient pas de son fait. Ainsi s’est substitué à la présomption simple de culpabilité censurée par le Conseil Constitutionnel une infraction pour défaut de surveillance assimilable à de la complicité. La seule possibilité aujourd’hui réservée au propriétaire par la loi HADOPI II pour s’exonérer de sa responsabilité consiste à prouver qu’il a sécurisé grâce à un dispositif sa connexion à Internet.  Dans cette même loi, le législateur a décidé que les actes de contrefaçon réalisés sur le Net relèveraient de la procédure de l’ordonnance pénale rendue par un juge unique sans être précédée d’un débat contradictoire. Cette procédure expéditive est peu adaptée à la complexité de l’infraction, notamment en ce qui concerne la matérialité des faits et la recherche de leur auteur. La coupure à Internet pour une période maximale de 1 an est également instituée comme une peine complémentaire à ces délits de contrefaçon sur Internet.

 

S’il est réjouissant que le droit d’accès à Internet ait été reconnu par le Conseil constitutionnel comme une composante de la liberté d’information et de communication, l’obstination du gouvernement à fonder juridiquement sa volonté de "punir" systématiquement un citoyen suite à un téléchargement illégal est regrettable. Au lieu de provoquer une prise de conscience du législateur quant au degré exagérément répressif du système HADOPI, la censure du Conseil constitutionnel l’a conduit  à adopter, non sans un certain culot juridique, une nouvelle loi opérant à la fois la mise en conformité constitutionnelle du système HADOPI et le durcissement du dispositif de protection contre le téléchargement illégal. De cet arsenal répressif ressort la volonté du gouvernement de protéger, quel qu’en soit le prix, les intérêts de l’industrie culturelle, une industrie qui plutôt que de s’adapter aux conséquences de la révolution Internet, a préféré exercer des actions de lobbyin   . Cette stratégie a porté ses fruits. Avec HADOPI, le législateur a hissé le droit de propriété d’une minorité au sommet de la pyramide juridique afin de la faire primer sur les libertés publiques reconnues à tous les citoyens, le tout sous le masque de la sécurisation d’Internet.  Au delà du chamboulement de l’ordre juridique démocratique, il est indispensable d’appeler le citoyen à la vigilance quant à la potentielle utilisation détournée dont pourraient faire l’objet certains dispositifs sur lequel repose le système HADOPI :    Puisque les téléchargements illégaux repérés par les gestionnaires de droits d’auteur donneront lieu à la déclinaison de l’identité par les FAI de la personne à partir de son adresse IP, cette technique pourrait potentiellement être détournée à des fins de contrôle de la vie privée. Si le décret du 5 mars 2010 "Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur Internet» se montre rassurant, il est difficile de l’être totalement dans un Etat dans lequel il est procédé à des écoutes illégales, où plusieurs projets anti-démocratiques de fichiers recueillant des données personnels ont été émis, où les avertissements de la CNIL quant aux menaces que fait peser HADOPI sur la vie privée sont ignorés...

 

L’HADOPI compte également dans ses attributions, la compétence de labellisation des dispositifs de sécurisation et des plateformes numériques de téléchargement. Pour le moment, aucune garantie n’a été apportée quant au caractère non arbitraire de ces attributions. En ce qui concerne plus précisément la labellisation des "mouchards", il sera nécessaire de veiller à ce les spécifications techniques conditionnant l’attribution du label,  ne portent pas atteinte à la neutralité du Net.  la loi HADOPI s’immisce dans le monde scolaire pour sensibiliser les enfants aux enjeux de la lutte contre le téléchargement illégal dans le cadre des enseignements artistiques. Leur parlera-t-on de la culture libre ? Etant donné le peu d’intérêt manifesté pour cette dernière par les autorités publiques, le doute reste autorisé. Comptons sur les enseignants pour faire découvrir aux enfants les alternatives à HADOPI afin d’éveiller leur sens critique et de lutter contre la standardisation des goûts artistiques opérée par les majors.  

 

Mais au final, est-ce que la répression est au moins efficace au regard des objectifs des lois HADOPI ? Peu de données quantitatives pertinentes et fiables sont déjà disponibles   . Alors qu’HADOPI se met progressivement en place non sans retard par rapport au calendrier fixé, la résistance se renforce s’instaure au sein de la communauté web qui met en place des techniques permettant de contourner HADOPI et continue d’alerter sur les dangers d’HADOPI. Parallèlement, les FAI réclament une indemnisation correspondant aux frais engagés pour l’identification des "pirates" à partir de leur adresse IP. Le Président de la République a lui-même reconnu, il y a peu, les limites d’HADOPI lors d’un petit déjeuner à l’Elysée auquel étaient conviés des professionnels et des blogueurs. Il a confié qu’à l’avenir, il associerait les professionnels d’Internet aux projets concernant la Toile. Décision constructive lorsque l’on sait que ces derniers débordent d’idées pour faire d’Internet un outil au service de la société de la connaissance.

 
 

Des solutions pour un accès universel à la culture

 

Peu de "pirates" sont des individualistes intégristes vouant un culte à la gratuité. On oublie trop souvent que les personnes se livrant à des actes de téléchargements illégaux acquièrent également à titre onéreux des livres, CD, DVD… et vont régulièrement au cinéma. Soucieux de soutenir la création artistique, ces derniers sont prêts à contribuer au soutien de la création et de la diffusion de la culture auprès de tous. Les détracteurs d’HADOPI ne recherchent donc pas la gratuité mais l’accès de tous à la culture. Et à cette fin, certains proposent et ont mis en place, à leur échelle des solutions concrètes   . En voici au moins deux: la licence globale et les licences libres. Ces dispositifs juridiques sont présentés de manière schématique. Il est conseillé de se reporter pour davantage d’informations aux sites qui leurs sont dédiés.

 

De la licence globale à la contribution créative et au mécénat global

 

La licence globale  consiste à permettre un téléchargement illimité de contenu culturel en échange d’une contribution forfaitaire versée par les abonnés au haut débit. Les sommes versées sont destinées à être  redistribuées aux auteurs proportionnellement  à la part que représente le téléchargement de leur œuvre dans la totalité des ceux réalisés sur une période donnée. Cette licence globale avait déjà été proposée en 2005 lors de la discussion de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI via l’adoption d’un amendement qui sera finalement annulé adopté puis violemment par un autre. Ensuite, le sujet est très vite devenu tabou. Ce qui n’a pas empêché les défenseurs de cette licence globale de poursuivre la mise au point de celle-ci et de l’expérimenter pour pouvoir en étudier les  impacts.  Ces efforts n’ont pas suffi à convaincre les parlementaires qui ont rejeté l’amendement du parti socialiste présenté lors de la discussion de la loi HADOPI à l’Assemblée nationale. Cet amendement  visait à instaurer un système de licence globale appelé "contribution créative". Le rapport au nom de la commission des lois constitutionnelles sur le projet de loi HADOPI avait auparavant qualifié la licence globale comme une fausse solution et cela, pour au moins cinq raisons.  La solution consistant à rendre cette redevance universelle serait injuste envers les internautes qui ne téléchargeraient pas. Et si cette contribution était versée par les seuls internautes recourant au téléchargement, il serait techniquement impossible de vérifier que ceux qui ne s’acquittent pas de cette contribution ne se livrent effectivement à aucun téléchargement.  Or, des solutions ont été proposées pour surpasser ces obstacles, telle que la contribution créative   , telle que conçue et promue par Phillipe Aigrain   , co-fondateur de la Quadrature du Net (et dont l’appellation et non l’exacte définition a été reprise dans l’amendement socialiste dont il est précédemment question) . Variante de la licence globale et système plus précis que ce, elle consiste à faire payer une contribution à chaque abonné au haut débit, la somme de cette contribution pouvant varier en fonction des revenus mais aussi des buts poursuivis par l’abonné lorsqu’il est une personne morale. Cette variante semble guidée par la conviction selon laquelle le partage de la culture est un investissement non seulement pour celui qui y accède mais aussi pour la société toute entière. Comme Philippe Aigrain, Co-fondateur de la Quadrature du Net, le fait remarquer, "la répartition de cette rémunération sera Nettement moins inégalitaire que dans les mécanismes déjà en place. C’est bien sûr une des réticences des plus gros gagnants du système actuel."

 

La répartition de la taxe entre les artistes serait techniquement irréalisable. N’oublions pas que des techniques de répartition sont déjà en expérimentation et la finalisation de cette technique serait certainement moins onéreuse que la mise en place du système HADOPI estimée à plus de 6 millions d’euros par le gouvernement. De plus, une autre solution pour résoudre cette problématique de la répartition, réside dans le mécénat global qui consiste à laisser le choix à l’internaute quant à la répartition de la somme forfaitaire versée entre les artistes (soit directement, soit via une délégation à une entité chargée d’opérer ce choix).  

La licence globale serait non-conforme aux engagements internationaux de la France. Cet argument est contestable car ce système maintient une protection des droits intellectuels de l’auteur et le rémunère en contrepartie des copies privées de son œuvre réalisées par les internautes (Soit dit au passage, la violation des traités internationaux les a nettement moins émus lors de l’adoption de la loi HADOPI (I) dont les dispositions étaient contraires aux droits de l’Homme conventionnellement reconnus par la France).

 

Un tel système réduirait à néant les efforts des producteurs et des distributeurs pour mettre en place des plateformes légales de téléchargement, présentant le mérite de se conformer plus harmonieusement aux principes fondateurs de notre droit de la propriété littéraire et artistique. Implicitement, cet argument semble être la véritable raison de l’opposition de la commission des affaires culturelles du Sénat à la licence globale. En effet, cette dernière est rejetée car elle ignore les intérêts des majors pour mieux garantir un accès  de tous à la culture. Notons cependant, la licence globale ou ses variantes n’excluent pas une distribution commerciale, même si les prix, n’étant plus déterminés par des acteurs monopolistiques, seraient moins élevés que ceux pratiqués actuellement.  

 

Enfin, un argument surprenant, la licence globale bouleverserait la conception traditionnelle des droits d’auteur en faisant de la copie privée le mode d’exploitation principal de l’œuvre. Comment espérer suivre le rythme de la révolution numérique en restant immobile?   Le rapport sénatorial balaie également les recommandations de la commission Attali selon lesquelles " La mise en place, pour répondre à cette lacune, de mécanismes de contrôle des usages individuels (filtrages généraux, dispositifs de surveillance des échanges) constituerait un frein majeur à la croissance dans ce secteur clé. En plus de la rémunération pour le téléchargement légal (que les internautes pourraient accepter volontairement, et sans contrainte ni surveillance, s’ils sont amenés à respecter le travail d’artistes qu’ils apprécient), la rémunération des artistes doit être assurée par des mécanismes d’abonnement (…)"  Il est également possible de comprendre l’hostilité du législateur vis-à-vis de la licence globale lorsque l’on sait que ce système est destiné à s’appliquer à la presse en ligne et constituerait ainsi une solution de sauvetage de la presse non seulement en termes de ressources mais aussi en termes d’indépendance par rapport aux grands groupes.

 
 

Des licences issues de la culture libre

 

La culture du libre était à son origine circonscrite au logiciel libre. Dans les années 70-80, sous l’impulsion des hackers et de leur gourou Richard Stallman, une philosophie de résistance s’est développée à l’encontre de l’apparition de la pratique des éditeurs de logiciels consistant à cacher le code source de ces derniers. Jusqu’alors, cette communauté, à partir du code source, programmait des améliorations aux logiciels, améliorations qu’ils pouvaient ensuite communiquer, gratuitement, aux autres utilisateurs. Par nostalgie de cette époque glorieuse et en réponse à l’apparition de la pratique de non-communication du code source, Richard Stallmann a fondé le projet GNU sous la licence GPL qui permet aux utilisateurs de jouir de 4 libertés : 

- La liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0).

- La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de l'adapter à ses besoins (liberté 1). A cette fin, l'accès au code source est une condition requise.

- La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider son voisin, (liberté 2).

- La liberté d'améliorer le programme et de publier vos améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3). L'accès au code source est ici encore une condition requise  

 

Cette logique de partage et de travail collaboratif s’est progressivement propagée dans la sphère culturelle notamment à travers la licence creative commons développée sous l’impulsion de Lawrence Lessig, juriste de la culture libre et a fait l’objet d’une traduction juridique en droit français. La licence créative commons "offre une autorisation non exclusive de reproduire, distribuer et communiquer l'œuvre au public à titre gratuit, y compris dans des œuvres dites collectives à la condition de faire apparaître clairement au public les conditions de la licence de mise à disposition de cette création, à chaque utilisation ou diffusion". Au-delà de ce noyau commun, la licence creative commons est une licence à géométrie variable donnant à l’auteur le choix d’autoriser ou d’interdire l’utilisation commerciale ainsi que les modifications portées à l’œuvre initiale qu’il a gratuitement mis à disposition du public. Si de telles modifications sont autorisées, la licence peut imposer que les œuvres dérivées soient utilisées et distribuées sous une licence identique à celle de l’œuvre initiale Chacune des conditions optionnelles peut être levée après l'autorisation du titulaire des droits. Notons que le peer to peer n’est pas considéré dans le cadre de cette licence comme une utilisation commerciale   .

 

Ces dispositifs ont plusieurs vertus : 

 

• La rétribution des artistes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la licence creative commons permet la rétribution des artistes car elle ne s’oppose pas à une distribution commerciale de l’œuvre en parallèle d’une mise à disposition gratuite sur le Net. Selon la volonté de leurs promoteurs, les artistes doivent avoir la possibilité de choisir entre le copyright et le copyleft, voire de soumettre, comme il a été mentionné plus haut, leur œuvre sous le double régime. Par exemple, un auteur pourra mettre en vente son livre en librairie ou sur Internet tout en permettant son téléchargement à titre gratuit. Certaines personnes achèteront le livre car elles ne sont pas familières des canaux de distributions de la Toile ou parce qu’elles souhaitent acquérir une version "matérialisée" de l’ouvrage (entre autre pour soutenir l’auteur dans sa démarche créative), d’autres pourront accéder à cette œuvre en la téléchargeant notamment pour "tester" l’œuvre, acquérir l’œuvre numérique à défaut de pouvoir se procurer immédiatement le support matériel, à des fins éducatives…. L’accès aux œuvres en accès libre est ainsi une sorte de produit d’appel pour les concerts, les produits dérivés, le soutien à de futures créations….mais aussi pour acquérir la version matérialisée de l’œuvre.   • Une concurrence "plus libre et parfaite" entre les artistes. Avant l’apparition d’artistes autoproduits sur Internet, la suprématie de la culture commerciale rendait difficile l’accès à des œuvres non financées par les majors et donc peu compatibles avec les goûts formatés du public par ces mêmes majors. Aujourd’hui, le web permet la diffusion d’artistes indépendants au point souvent de s’autoproduire. Si la qualité de l’œuvre est repérée par un internaute, celui-ci aura envie de la partager avec un ami, qui à son tour signalera "la pépite" à son entourage, ce qui peut aller jusqu’à créer le buzz.  La culture du libre favorise l’égalité des chances pour les artistes.   • Une diffusion plus large de la culture en "ouvrant ainsi les portes du savoir et de la culture démocratiquement, librement et universellement à tous, créant une sorte de boule de neige culturelle" comme l’explique Mathieu Pasquini qui a créé la maison d’édition en ligne In Libro Veritas

• Un accès à Internet sans risque pour les libertés publiques. Ce système non répressif ne nécessite pas la  surveillance d’une créature orwellienne

Les licences libres apportent une souplesse indispensable pour espérer s’adapter dans le respect des droits et des libertés de chacun à la révolution numérique. De plus, ce modèle porte en lui les germes d’un modèle sociétal reposant sur des valeurs telles que le partage, la connaissance et le respect du travail de chacun.  Mais alors pourquoi avoir opté pour le hard law caractérisant HADOPI plutôt que pour les vertus du soft law de la culture libre ? La réponse semble caricaturale mais non moins évidente : parce que les majors qui pèsent sur les décisions publiques ne retirent aucun bénéfice de ce système…

 

Appel a la vigilance 

 

HADOPI est une traduction supplémentaire de la redéfinition sarkozienne de la légalité selon laquelle tout ce qui rémunère le capital est légal,  peu importe si les droits de l’homme sont bafoués, si les conséquences sociales qui en découlent sont désastreuses…. Traditionnellement, le juriste débutant apprend la différence entre  la légalité et la légitimité. Les lois HADOPI pourront désormais être citées comme illustration. Elles démontrent que le droit n’est pas toujours un rempart suffisant contre la tentation répressive.  Quelle est alors la solution ?  L’indignation ? "Indignez-vous!» semble être le mot d’ordre de cet hiver. Espérons que Stéphane Hessel sera aussi suivi que lu car la loi dite "LOPPSI II", sur le point d’être définitivement adoptée, menace la démocratie. Si le système HADOPI, comme nous l’avons signalé, peut-être détourné à des fins de violation de la vie privée, la loi LOOPSI II prévoit, sans complexe, un filtrage du Net pour barrer la route, non plus seulement aux pirates, mais aussi aux pédophiles et aux terroristes. Evidemment, la nécessité d’une protection contre ces fléaux est impérieuse. En revanche, la méthode est contestable car le filtrage des sites peut vite se transformer en censure des sites dérangeant le pouvoir, comme cela a pu se produire dans les pays ayant expérimenté cette technique.  Les résistants à HADOPI et plus largement l’ensemble des citoyens doivent impérativement poursuivre leur mobilisation pour que les libertés fondamentales cessent d’être sacrifiées à des fins sécuritaires masquant une volonté de préserver intactes les positions oligopolistiques ou encore d’instaurer une surveillance de la société par le pouvoir … Les pionniers de la culture libre ou des autres solutions alternatives ont montré la voie en étayant leur contestation par des solutions concrètes permettant d’obtenir des résultats équivalents à ceux officiellement recherchés par le législateur car, pour terminer avec Stéphane Hessel, "Créer c’est résister, résister c’est créer"

*Lire le dossier complet de nonfiction sur le numérique 

 

Lire le dossier de Nonfiction.fr sur l’action de Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et du droit :

 

- Edito : "Nicolas Sarkozy et le droit : une rupture consommée", par Daniel Mugerin.


- Un point de vue sur le populisme pénal du président de la République, par Adeline Hazan, maire de Reims et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

 

- Un article sur le financement de l'aide juridictionnelle, par Daniel Mugerin. 

 

- Une critique du numéro de la revue Hommes et Liberté sur la justice pénale, par Charles-Edouard Escurat.

- Une analyse juridique de la politique d’immigration et d’asile de Nicolas Sarkozy, par Aurore Lambert.

- Une interview de Maxime Gouache, président du Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI) et Bruno Vincent, président des anciens du GENEPI, à propos de la politique du gouvernement en matière de justice depuis 2007.

- Une recension du dernier numéro de la revue Pouvoirs sur "La Prison", par Blandine Sorbe.

- Une interview de Maître Virginie Bianchi à propos de la rétention de sûreté, par Yasmine Bouagga.

- Une brève sur le livre d'Olivier Maurel, Le Taulier. Confessions d'un directeur de prison, par Yasmine Bouagga.

- Une interview du sociologue Philippe Combessie autour de son livre Sociologie de la prison, par Baptiste Brossard et Sophie Burdet.