La politique impulsée par le président Nicolas Sarkozy en matière d’immigration et d’asile a été symbolisée pendant trois ans par la création du ministère qui associait immigration et identité nationale. Sa disparition dans le dernier remaniement est l’occasion de tirer un premier bilan de l’accueil des étrangers tel qu’il est pratiqué par la droite depuis 2007.

Sur ce sujet comme sur bien d’autres, le candidat Nicolas Sarkozy, bien qu’ayant été ministre de l’Intérieur pendant plusieurs années   , a clairement souhaité rompre avec les politiques précédemment menées en se focalisant sur "l’étranger" en général. C'est-à-dire, celui qui souhaite venir vivre et travailler en France, celui qui est déjà présent sur le territoire et même, dans l’esprit d’une partie de la droite, celui qui est perçu comme étranger alors qu’il est de nationalité française.


Les multiples modifications du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) depuis 2002 et les prises de position du Président et de ses ministres depuis 2007, comme celle qui ont concerné les Roms cet été, ont toutes visé à démontrer que le droit qui protège les migrants, qu’ils soient ou non demandeurs d’asile ou réfugiés, est abusif. La mise en oeuvre de cette politique a exigé la création d’outils spécifiques, comme le ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, qui ont fonctionné dans la légalité mais en étant toujours à la limite du droit, pour mieux entretenir la confusion sur sa légitimité.

Le droit est envisagé sous un angle politique et non comme un instrument de justice

La stigmatisation des immigrés, pour ne pas heurter frontalement la "tradition d’accueil de la France", s’est opérée en renforçant la distinction entre le demandeur d’asile/réfugié politique, "persécuté en raison de son action en faveur de la liberté   " et l’immigré, accusé de venir en France grâce au regroupement familial et de vivre des allocations et minima sociaux.
Plus subtilement, il y aurait même d’un côté le "bon" demandeur d’asile et de l’autre le "mauvais", l’immigré déguisé, celui qui abuse de ce droit grâce à des filières clandestines pour rester sur le territoire le temps de l’instruction de sa demande et qui gonfle les chiffres des demandes adressées à l’OFPRA. Et ce, malgré la loi de 2003 qui établit une liste de "pays sûrs" dont les ressortissants voient leur demande d’asile systématiquement rejetée … Le Mali en fait partie actuellement, à titre d’exemple.

La France n’aurait donc le devoir de protéger qu’une certaine catégorie de personnes. Comme l’écrivait déjà Georges Mauco dans les années trente, et dont les thèses ont été reprises récemment par Hugues Lagrange dans Le Déni des cultures, certains étrangers seraient plus "assimilables" que d’autres. Par exemple, les chrétiens, comme l’a illustré l’accueil en fanfare de cinquante-sept réfugiés irakiens par Eric Besson en novembre 2010. Leurs compatriotes musulmans, qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers les passeurs et filières mafieuses pour fuir ce pays en guerre, rêveraient des mêmes conditions d’accueil : accompagnement dans la demande d’asile ou délivrance d’une carte de séjour temporaire, droit à la couverture maladie universelle, à une assistance sociale et juridique, à l’allocation mensuelle de subsistance, à un hébergement, à une formation linguistique et à un "bilan de compétences professionnelles gratuit". A quand un tel programme pour tous les demandeurs d’asile ?

L’intervention de Nicolas Sarkozy en tant que candidat à l’élection présidentielle à Marseille le 5 mars 2007 nous livrait déjà les clés principales de sa politique. Il s’agit de rompre avec la "politique de Gribouille" menée depuis trente ans, y compris avec les signaux rassurants envoyés à la gauche comme la suppression de la double peine par le même Nicolas Sarkozy en 2003.

Cela implique concrètement de : "réduire l’immigration familiale pour privilégier l’immigration de travail et l’accueil des étudiants" grâce à la mise en oeuvre de la loi du 24 juillet 2006, "lutter contre les mariages considérés comme blancs et la fraude documentaire", "mettre en place un "test d’intégration" aux candidats au regroupement familial, éloigner systématiquement les "migrants clandestins" et expulser les "étrangers délinquants". Le droit au regroupement familial, qui existe en France depuis 1976 et est protégé par la Convention européenne des droits de l’homme   est considéré comme abusif, il autoriserait la venue de familles en France sans contrôle de leurs ressources ni de leur logement.

Il s’agit donc d’une vision très étroite de l’accueil et la fidélité proclamée à une "tradition" française n’est que façade puisqu’elle est subordonnée au respect du droit d’un Etat à choisir ceux qui sont admis sur son territoire, dès leur passage au consulat. Ces priorités sont mot pour mot celles affichées par Brice Hortefeux, lors de sa présentation du budget 2011 du ministère de l’intérieur et de l’immigration.

Paradoxalement, le candidat Sarkozy souhaite également qu’une politique européenne de l’immigration et de l’asile soit mise en oeuvre, non sur le fondement des normes communautaires mais à partir de "grands principes communs" qui sont en  réalité des facteurs de repli : le "refus des régularisations massives",  la "mise en place d'une frontière extérieure efficace et fiable", une "règle commune d'asile et de regroupement familial", le "principe de l'éloignement systématique des migrants clandestins et de l'expulsion des étrangers délinquants sauf protections particulières".

La loi est constamment modifiée afin de restreindre les droits des immigrés et demandeurs d’asile pour assurer la maîtrise des flux migratoires

Conformément à ces orientations, le CESEDA a été modifié à plusieurs reprises depuis le retour de la droite en 2002, mais tout particulièrement à partir du durcissement que l’on observe après 2005.

La loi du 24 juillet 2006 est ainsi exemplaire : elle vise à mettre en place de nouveaux moyens permettant de "mieux réguler l’immigration, de lutter contre les détournements de procédure et [de] promouvoir une immigration choisie ainsi qu’une intégration réussie". Ses principales dispositions portent sur le regroupement familial   , les mariages mixtes   , la carte de séjour   et la sélection de la main d’oeuvre   .

Les dispositions de la loi du 20 novembre 2007 concernent principalement l’immigration familiale. Une évaluation du "degré de connaissance de la langue française" est nécessaire pour toute personne étrangère demandant un visa de long séjour pour rejoindre en France un membre de sa famille. Le "contrat d’accueil et d’intégration" est étendu à toute la famille En cas de non respect, le juge des enfants peut être saisi et le paiement des allocations familiales suspendu. Enfin, il est envisagé la possibilité pour les étrangers ressortissants de pays dans lesquels "l’Etat civil présente des carences ou est inexistant" qui sont candidats au regroupement familial de recourir à un examen génétique (ou "test ADN") pris en charge par l’Etat. Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré ce dispositif mais l’a assorti de réserves. Il a finalement été enterré par le ministre Eric Besson, qui n’en a pas signé les décrets d’application.

Son projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité adopté par l’Assemblée Nationale le 12 octobre 2010, allonge la durée de rétention des étrangers en situation irrégulière, ce qui va à l’encontre des engagements pris par le gouvernement. Il a suscité l’indignation jusque dans les rangs de l’UMP en restreignant le droit au séjour pour les malades en situation irrégulière   et l’accès au droit pour les étrangers en général pour en faire des justiciables de seconde zone.

Il semble évident que l’absence de recul sur ces multiples mesures, prises dans la précipitation et souvent en fonction de faits d’actualité, conforte l’idée qu’il s’agit essentiellement d’opérations de communication à destination d’un électorat préoccupé par la sécurité et par son lien avec l’immigration. Autrement dit, le droit et ses évolutions sont considérés comme de simples symboles et non comme les moyens d’une réelle politique, qui serait pourtant nécessaire. Bientôt, c’est le changement climatique qui poussera les populations à migrer et rien n’est encore pensé pour anticiper ce phénomène. L’effet dissuasif de ces mesures est par ailleurs contestés et leur coût dénoncé : environ 20 000 euros pour une reconduite à la frontière. Il y en a eu 30 000 en 2008 et en 2009 et plus de 23 000 sur les dix premiers mois de 2010.

Les outils de la politique d’immigration entretiennent la confusion sur ses objectifs

Cette évolution de la législation s’est faite dans le respect des institutions. Lorsque l’on analyse son élaboration, même lorsqu’il s’agit de projets de loi, on s’aperçoit très vite du fait que le travail sur l’immigration et/ ou la sécurité est phagocyté par quelques députés de la "Droite populaire"   , comme Thierry Mariani ou Lionel Luca et Jacques Myard, ces deux derniers étant membres de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Rappelons qu’en 2007, c’est à un amendement de Thierry Mariani que l’on devait les tests ADN pour le regroupement familial. Des amendements non adoptés au projet de loi "Besson" sur l’immigration proposaient par ailleurs de priver les binationaux de leurs droits civiques et politiques (Jacques Myard), voire d’en finir avec la double nationalité ou de supprimer le droit du sol au nom de la liberté individuelle (Lionel Luca).

Mais il a fallu que Nicolas Sarkozy joue sur l’ambiguïté de la politique d’accueil pour pouvoir soumettre l’asile aux mêmes principes de gestion des flux que l’immigration. Il faut remarquer à ce sujet que les mots ont leur importance : en 2005, l'Office des Migrations Internationales (OMI), en charge de gérer l'arrivée des immigrés en France, était devenue à l'occasion de sa fusion avec le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE), l’Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM). En 2009, l'ANAEM se transforme en Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L’accueil a disparu !

Traditionnellement, la politique d’asile relève des Affaires étrangères et est encadrée par la Convention de Genève et notre Constitution. La politique d’immigration, soumise au respect de normes communautaires et internationales et notamment, de la Convention européenne des droits de l’homme, est cependant le fait du ministère de l’Intérieur, ce qui laisse une plus grande marge de manoeuvre au gouvernement.

La création d’un "vaste ministère de l'immigration" en charge des différents volets de la politique de l'entrée et du séjour des étrangers en France   , y compris l’asile, était ainsi annoncée dès le discours de Marseille, tout comme la mise en place d’un "test d’intégration" portant sur la langue mais aussi sur les "valeurs" de la France. C’était la première fois qu’immigration et identité nationale étaient explicitement liées dans un même ministère, étant entendu que la première menace la seconde, comme l’ont démontré les débats organisés par le ministre Besson dans les préfectures à l’automne 2009 mais aussi, la conception d’une "Maison de l’histoire de France" qui exclut totalement l’histoire de l’immigration.

C’était aussi la première fois en décembre 2009, que les officiers de protection de l’OFPRA se mettaient en grève, pour protester notamment contre le manque de moyens et le recours qu’ils jugeaient abusif à la procédure prioritaire pour instruire le dossier des demandeurs d’asile ressortissants de "pays sûrs". A ces difficultés il faut ajouter d’autres obstacles comme le démantèlement en 2008 de l’aide apportée aux personnes placées en centres de rétention par la Cimade depuis 1984. Le territoire de la République a été découpé en huit lots qui ont fait chacun l’objet d’un appel d’offre au terme duquel des associations fantoches ont été retenues, privant les personnes d’un secours efficace et de leur accès au droit mais aussi de la possibilité d’avoir une vision globale de l’accueil en France. Les personnes qui cherchent à promouvoir la tradition d’accueil en hébergeant des sans-papiers ou en rechargeant leur téléphone portable sont considérées comme délinquantes, en témoigne le "délit de solidarité" qui existe depuis le printemps 2009 et dont Eric Besson a déclaré qu’il s’agissait d’un "mythe".

Aujourd’hui, le vaste ministère qui avait créé la polémique a disparu mais l’OFPRA continue de relever du ministère de l’Immigration, alimentant par là même la confusion entre asile et immigration.

Les priorités du gouvernement apparaissent d’ailleurs clairement lorsque l’on compare les budgets des ministères : celui de l’Intérieur est stable pour 2011 quand celui des Affaires étrangères régresse, comme s’en alarmaient d’Hubert Védrine et d’Alain Juppé dans une tribune publiée dans Le Monde le 6 juillet 2010.

Un travail de sape des principes républicains et de la légitimité du droit

L’objectif étant la maîtrise des flux migratoires, les multiples lois sur l’immigration ont cherché à invalider les principes de l’accueil. L’étranger est perçu négativement et les mesures prises pour assurer l’étanchéité des frontières alimentent un racisme latent. L’amalgame est en effet complet entre l’étranger qui cherche à émigrer en France, l’étranger qui vit et travaille en France, et le Français perçu comme étranger ou "d’origine étrangère".

La loi du 20 novembre 2007 en est une illustration : alors qu’elle relève de la politique migratoire, l’un de ses articles, d’ailleurs censuré par le Conseil constitutionnel, autorisait le "recensement des origines ethniques ou raciales" dans le cadre d’études "sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration".

Le climat qui s’est instauré légitime les "dérapages", ceux d’Eric Zemmour qui comparaît depuis le mardi 11 janvier pour discrimination raciale   mais aussi ceux de Brice Hortefeux, condamné le 4 juin 2010 pour injure à caractère racial, ce qui est unique pour un ministre de la République en exercice.

Il est ainsi à craindre que ce mépris revendiqué du droit n’entraîne une modification du droit même, pour éviter que des décisions prises par le gouvernement ne soient contredites par des juges nationaux (comme dans le cas des 123 Kurdes placés en centres de rétention au printemps dernier puis relâchés) ou communautaires. Conformément au discours tenu le 30 juillet 2010 à Grenoble par le président de la République, le projet de loi Besson propose ainsi de nouvelles dispositions sur la déchéance de nationalité, pour aboutir à la création de deux catégories de Français. Français de naissance et Français par naturalisation ne disposeraient pas des mêmes droits, en complète contradiction avec notre Constitution, dont le premier article interdit toute distinction d’origine entre les citoyens

 

Le dossier de Nonfiction.fr sur l’action de Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et du droit :

 

- Edito : "Nicolas Sarkozy et le droit : une rupture consommée", par Daniel Mugerin.


- Un point de vue sur le populisme pénal du président de la République, par Adeline Hazan, maire de Reims et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

 

- Un article sur le financement de l'aide juridictionnelle, par Daniel Mugerin. 

 

- Une critique du numéro de la revue Hommes et Liberté sur la justice pénale, par Charles-Edouard Escurat.

- Une mise en perspective de l’application de la loi Hadopi et de ses implications, par Bérengère Henry.

- Une interview de Maxime Gouache, président du Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI) et Bruno Vincent, président des anciens du GENEPI, à propos de la politique du gouvernement en matière de justice depuis 2007.

- Une recension du dernier numéro de la revue Pouvoirs sur "La Prison", par Blandine Sorbe.

- Une interview de Maître Virginie Bianchi à propos de la rétention de sûreté, par Yasmine Bouagga.

- Une brève sur le livre d'Olivier Maurel, Le Taulier. Confessions d'un directeur de prison, par Yasmine Bouagga.

- Une interview du sociologue Philippe Combessie autour de son livre Sociologie de la prison, par Baptiste Brossard et Sophie Burdet.