Un livre clair et très synthétique qui constitue une bonne introduction à l'intelligence de la Bible
La Bible s’impose d’emblée comme un livre en apparence monolithique dont l’unité semble bien établie. Or, qui la consulte un peu plus attentivement découvre très vite la diversité des livres qui la composent tant du point de vue des genres littéraires que du point de vue des événements qu’elle relate . Une telle hétérogénéité du texte biblique conduit à une question déterminante : comment fut écrite la Bible, autrement dit quelle est l’histoire de ce document protéiforme et néanmoins central dans la culture occidentale ? C’est précisément cette question de l’histoire du texte biblique que Pierre Gibert, jésuite et spécialiste de l’histoire de l’exégèse , entend explorer à travers cet ouvrage. Convaincu qu’il n’est de meilleure introduction à la lecture de la Bible que l’exégèse de son histoire rédactionnelle, l’auteur se propose, à travers deux grandes parties (l’Ancien Testament et le Nouveau Testament), d’éclairer le lecteur quant à la genèse des différents livres qui constituent la Bible.
L’Ancien Testament : entre légende et histoire
La première partie, consacrée à l’Ancien Testament , s’intéresse d’abord aux langues dans lesquelles ce corpus a été rédigé : l’hébreu, l’araméen et le grec. Si la première de ces langues est - et de loin - la plus utilisée et si son apparition ne paraît attestée qu’au IXe av. J.C., il faut alors souligner la " distance importante entre, d’une part, les plus anciens documents écrits que nous puissions repérer et, d’autre part, les événements rapportés, fondateurs ou non. " Se pose ainsi l’un des problèmes majeurs de l’exégèse biblique : quelles ont été les sources utilisées, à quel moment et par quels auteurs ?
La collection complexe de livres qui composent l’Ancien Testament en fait une véritable bibliothèque. Que la division traditionnelle de la Bible hébraïque témoigne d’une grande clarté (la Loi, les Prophètes, les Ecrits) ne doit pas faire oublier toutefois au lecteur, encore une fois, l’extrême diversité des textes. Et l’auteur d’analyser les grands mouvements de chacune de ces trois parties et de souligner les difficultés rencontrées par l’exégèse biblique lorsqu’il s’agit de sonder les livres de la Genèse et de l’Exode, toute découverte d’une preuve historique ou archéologique de l’existence des patriarches étant selon lui définitivement écartée. Comprenons que les livres du Pentateuque servent avant tout la cause d’"une " histoire sainte " destinée à fonder la spécificité religieuse d’un peuple. " Constamment soucieux de souligner la continuité de sens entre les livres de cette première partie (la Loi), l’auteur montre comment le livre de Josué, premier des livres de l’ensemble des Prophètes, s’inscrit néanmoins dans la continuité narrative du Pentateuque (certains exégètes ont ainsi pu parler d’Hexateuque). C’est que cette histoire des origines - ces fondations que se donne le peuple d’Israël à travers la Bible - n’a été rédigée qu’a posteriori, autrement dit des siècles après les événements narrés. Aussi la perspective des rédacteurs bibliques n’était-elle pas tant une perspective historique qu’une perspective religieuse et morale. D’où les difficultés quasi insurmontables rencontrées par l’exégèse moderne pour mettre à jour les processus rédactionnels des textes vétérotestamentaires et pour confirmer ou infirmer les données historiques de ces mêmes textes. Difficultés d’autant plus grandes d’ailleurs que certains d’entre eux, notamment parmi les textes prophétiques, ont connu des reformulations, voire des ajouts à quelques siècles d’intervalle parfois.
L’Ancien Testament : une histoire rédactionnelle complexe
Lire l’Ancien Testament et essayer de le comprendre, c’est ainsi accepter de s’immerger dans cette longue histoire rédactionnelle qui fait l’objet du dernier chapitre de la première partie. Si l’exégèse moderne considère que sept ou huit siècles furent nécessaires à l’élaboration de l’Ancien Testament tel qu’il se présente à nous (du VIII au Ier av. J.C.), de nombreuses zones d’ombre demeurent, notamment concernant la datation des rédactions : à la théorie documentaire des années 60 qui considérait le Pentateuque comme un tout relevant d'une seule hypothèse de formation a succédé au début des années 70 une remise en cause de cette même théorie, le Pentateuque étant considéré à présent dans une problématique plus large en rapport étroit avec la source d’écriture sacerdotale des VI-Ve siècles. On comprend dès lors mieux que le Pentateuque, véritable matrice narrative de l’Ancien Testament, aux sources et aux commencements de l’histoire biblique, ne doive plus être considéré comme le texte source, motivant l’ensemble des autres textes vétérotestamentaires, mais comme une réécriture a posteriori (et bien après d’autres textes bibliques) des origines du peuple d’Israël.
Le Nouveau Testament : une écriture résolument orientée vers l’événement de la Résurrection
Seconde partie de la Bible chrétienne, le Nouveau Testament, bien que constitué sur une période beaucoup plus courte que celle de l’Ancien Testament (approximativement une cinquantaine d’années), soulève lui aussi des problèmes d’ordre rédactionnel et de datation. Rédigé en grec et en araméen, l’ordre de présentation des livres néotestamentaires - comme c’est la cas pour l’Ancien Testament - ne correspond pas à l’ordre rédactionnel. On sait ainsi que le texte le plus ancien du Nouveau Testament est l’Epître aux Galates de Paul, rédigée probablement en 48, les évangiles n’apparaissant que plus tardivement (entre 70 et 95). De fait, ces quatre textes, sans doute les plus lus et les plus connus du Nouveau Testament, rédigés quelque 40-50 ans après la mort du Christ, privilégient résolument les événements de la Passion comme s’il s’agissait d’évoquer et de lire la vie de Jésus à la lumière de la Résurrection, le Christ ayant selon la pensée chrétienne vaincu la mort pour sauver l’humanité de ses péchés. Comme dans un jeu de miroirs, la vie du fils de Marie ne prend sens pour les évangélistes qu’à la lumière des annonces de l’Ancien Testament.
Une première approche de la Bible
Rédigé dans un style très limpide et divisé en deux grandes parties élémentaires, cet ouvrage présente clairement et de manière didactique le contenu des différents livres bibliques. Son intérêt réside toutefois ailleurs : si l’auteur s’adresse ici à un très large public pas forcément spécialiste, il entend néanmoins montrer combien la lecture de la Bible, pour qui veut réellement en appréhender la teneur, reste tributaire des questions plus complexes des processus rédactionnels. Que cet ouvrage rappelle au lecteur, au croyant, à l’étudiant que la Bible n’est pas un livre unique mais une bibliothèque constituée sur plusieurs siècles ouvre en réalité sur les enjeux de l’exégèse moderne : comment les textes bibliques ont-ils été transmis et rassemblés ? Les histoires racontées se distinguent-elles de la vérité historique ou archéologique ?
Bien évidemment, avec cet ouvrage succinct, l’étudiant en théologie ou le chercheur ne trouvera pas réellement des réponses précises concernant les processus rédactionnels de tel ou tel livre, l’auteur ne faisant ici qu’évoquer certaines orientations de l’exégèse moderne. Qui souhaiterait obtenir des informations plus précises lira avec grand intérêt l’excellent ouvrage rédigé sous la direction de Thomas Römer intitulé Introduction à l’Ancien Testament (Labor et Fides, 2009) .