Peut-on comparer les mesures envisagées par Nicolas Sarkozy contre les délinquants "français d’origine étrangère" avec la politique du régime de Vichy ? L’ancien résistant Stéphane Hessel et l’ancien Premier ministre Michel Rocard n’ont pas hésité à le faire. L’historien Henry Rousso, dans un article publié par Médiapart le 10 août dernier, se pose la question. Pour ce spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de la mémoire de Vichy, dresser un tel parallèle n’est pas absurde dès lors que l’on considère que le régime de Vichy fut le seul dans l’histoire française à déchoir massivement des citoyens de leur nationalité. Deux semaines après le vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, le régime revint sur une loi de 1927 qui avait favorisé la naturalisation de près de 900 000 personnes. Un peu plus de 15 000 personnes se virent retirer la nationalité française sur des critères essentiellement "politiques et ethniques". Proportionnellement, les plus concernés furent des Roumains, des Grecs, des Hongrois, des Autrichiens, des Espagnols, des Polonais et des Russes venus en France dans le cadre de la crise démographique consécutive à la Première Guerre mondiale et du besoin de main d’œuvre. Près de 8000 d’entre d’eux étaient d’origine juive et furent pourchassés par les nazis et Vichy en priorité en tant qu’étrangers, à partir de 1942.

La déchéance de la nationalité concernait aussi les opposants politiques considérés comme dangereux pour la sûreté de l’Etat. Une série de lois promulguées entre juillet 1940 et mars 1941 visait ainsi les hommes politiques, journalistes ou industriels exilés ou ouvertement entrés en Résistance. Dans l’ensemble, ces dénaturalisations touchaient donc tout simplement des citoyens nés à l’étranger ou nés juifs.

Pour Henry Rousso, ce rappel historique montre bien la nature exacte du régime de Vichy : une dictature antirépublicaine et antidémocratique ayant existé dans des circonstances exceptionnelles. Le retrait de la nationalité était au cœur de la politique de Vichy et s’assimilait à un acte de guerre civile. En ce sens, il ne relevait pas d’une rhétorique de dissuasion ou de menace comme les discours actuels.

De surcroît, "à trop vouloir se référer à Vichy comme métaphore du mal français absolu […], on se prive de voir à quel point les mesures visées s’inscrivent dans une tradition républicaine, à quel point les dérives actuelles dans les actes et les discours sont parfaitement compatibles avec un système républicain et n'ont nul besoin d'une dictature charismatique pour s'imposer : c'est bien là le danger majeur - et le risque d'une comparaison hâtive." Ainsi, la référence à Vichy serait pertinente si l’on oublie le contexte de 1940 dans lequel une politique d’Etat xénophobe et antisémite a pu se développer. Ressasser sans cesse les pires heures du passé pour expliquer les "dangers du présent" nous dissimule selon Henry Rousso le caractère inédit de ces derniers. En effet, la nouvelle xénophobie d’Etat affichée par Nicolas Sarkozy ou illustrée par le "Français ou voyou, il faut choisir" de Christian Estrosi, si elle appartient à une longue tradition française - antérieure à Vichy - de fantasme d’une nation épurée, s’inscrit dans un phénomène mondial nouveau, amplifié par la crise économique, d’incapacité de gestion des flux migratoires. Qu’une telle tradition politique puisse ainsi se renouveler dans le contexte d’une mondialisation accélérée, c’est de cela, sans doute, qu’il faut s’inquiéter

 

* Henry Rousso, "Dénaturalisations : la démocratie à l'épreuve", Médiapart, 10 août 2010.