Dans sa décision n°2010-14/22 QPC en date du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution du 4 octobre 1958 les articles 62, 63, 63-1 et 77 du Code de procédure pénale et les alinéas 1 à 6 de l’article 63-4 du même code. Ces articles organisent le régime français de la garde à vue.

 

La déclaration d’inconstitutionnalité n’invalide pas, pour autant, les procédures de garde à vue actuelles. Concrètement, elle prendra effet à partir du 1er juillet 2011.

La décision qui vient d’être rendue, chef d’œuvre de droit constitutionnel, dont les considérants n°15, 16, 17, 18, 20, 25, 29 et 30 sont les plus importants, marque la fin de la procédure initiée par la saisine du Conseil constitutionnel par la Cour de cassation, le 1er juin 2010 par l’instrument de la question prioritaire de constitutionnalité.

Les Sages du Conseil constitutionnel ont rendu une décision dont les motifs viennent rappeler combien est précieuse l’intervention de la branche judiciaire du gouvernement, alors que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, depuis le milieu des années 1990, n’ont pas su adapter les règles de la procédure pénale interne aux évolutions de la société et aux changements des formes de criminalité.

 

De fait, le Conseil constitutionnel observe que :

"15. (…) depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale ;

16. Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit "en temps réel" des procédures pénales a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l'action publique est prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire avant qu'il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise en œuvre de l'action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l'objectif de bonne administration de la justice, il n'en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause ;

17. Considérant, en outre, que, dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985 susvisées, l'article 16 du code de procédure pénale fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d'officier de police judiciaire, seules habilitées à décider du placement d'une personne en garde à vue ; que cet article a été modifié par l'article 2 de la loi du 1er févier 1994, l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article 20 de la loi du 22 juillet 1996, la loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de 25 000 à 53 000 ;

18. Considérant que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures ; qu'elles ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées".

Le Conseil constitutionnel rappelle qu’"il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne" (Considérant n° 20).

 

De la même façon que Matthieu Aron, dans son livre Gardés à vue, soulignait combien l’indispensable réforme de la garde à vue n’a jamais tendu à supprimer cette mesure de la panoplie de la procédure pénale, les Sages de la rue Montpensier rappellent :

"que la garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ; que, toutefois, ces évolutions doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense" (Considérant n° 25).

 

En conséquence d’une motivation limpide, le Conseil constitutionnel juge :

"(…) dans ces conditions, les articles 62, 63, 63 1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n'instituent pas les garanties appropriées à l'utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées ; qu'ainsi, la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution" (Considérant n° 29).

 

Le Conseil constitutionnel renvoie au Parlement la charge de voter une loi nouvelle qui aura vocation à s’appliquer aux procédures de garde à vue à compter du 1er juillet 2011, les procédures actuelles n’étant pas concernées, à titre exceptionnel, par la déclaration d’inconstitutionnalité intervenue.

"Considérant, d'une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée ; que, d'autre part, si, en principe, une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité, l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; qu'il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité" (Considérant n°30)

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Matthieu Aron, Gardés à vue, par Daniel Mugerin.

- "La garde à vue anticonstitutionnelle ?", par Daniel Mugerin.