Historiens, sociologues, économistes des médias et de la culture ont depuis plus ou moins longtemps des lieux de sociabilité connexes des centres de recherche universitaire. Les juristes étaient quelque peu en reste de ce mouvement, au moins pour deux raisons : la division du travail juridique universitaire (et des trajectoires professionnelles afférentes) entre le « droit public » et le « droit privé », division à laquelle le droit des médias et le droit de la culture sont pour une grande part assez réfractaires ; la division durablement marquée du champ juridique français entre les juristes universitaires et les « praticiens du droit ». Pour ainsi dire, l’Association française de droit des médias et de la culture s’est formée à la faveur d’une volonté de dépassement par ses sociétaires-fondateurs de la question d’une originalité statutaire du droit des médias et du droit de la culture au sein du « droit public » ou au sein du « droit privé » et d’une volonté d’évitement de certaines inclinations (le formalisme juridique pur, l’érection des habitudes et des pratiques professionnelles en connaissance sociale, l’exaltation militante, etc.).
Cette ambition mobilisatrice, l’Association l’a éprouvée dans le contexte de son colloque inaugural en 2009 (Censure(s), Conformisme(s) et Judiciarisation. Un double jeu des juristes ?) puisqu’il s’était agi de « questionner » la prégnance du thème de la censure dans les discours contemporains, en évitant la facilité intellectuelle et rhétorique que constitue l’assimilation des polices contemporaines du discours au spectre du Procureur Pinard : cette prégnance n’a-t-elle pas pour conséquence paradoxale une perte de sens de la notion même de « censure » ? et, puisque les références contemporaines à la « censure » se donnent souvent pour repoussoir le « politiquement correct » et que ce dernier a lui-même pour interface juridique les législations non-permissives des offenses religieuses, des discours racistes, xénophobes, sexistes, homophobes ou handiphobes, qui donc souhaite vraiment voir abrogées ces législations ? au demeurant, comme les occurrences de la référence à la censure (idéologique, politique, artistique, etc.) dans le débat public sont, dans une large mesure, liées à des procédures judiciaires ou administratives déclenchées par des plaideurs, ceux-ci étant aidés de leurs conseils, les juristes ne jouent-ils pas à un « double jeu » en revendiquant à la fois une vocation de gardiens de la liberté d'expression et de la liberté artistique (puisque ces deux libertés sont irréductibles l’une à l’autre comme de nombreux travaux de Nathalie Heinich s’attachent à le montrer) mais en légitimant les actions supposément dirigées contre elles ?
En septembre 2009, l’Association a encore réuni une réflexion sur le projet de « dépénalisation de la diffamation », une réflexion qui, adossée à un dossier de législation comparée et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, avait donné l’occasion aux partisans de cette dépénalisation de soutenir – contre une opinion quelque peu unanime dans la presse –qu’il n’y a pas une nature intrinsèquement libérale du « droit pénal spécial » (en l’occurrence la loi de 1881) en matière de presse. L’Association française de droit des médias et de la culture a cru pouvoir prolonger cette réflexion en initiant un ouvrage collectif à paraître en septembre 2010 sur les polices légales du journalisme en Europe (France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Italie) et en Amérique du Nord (États-Unis, Canada) et dont le point fixe est que la centralité dans la démocratie contemporaine des médias d’une part, du droit et de la justice d’autre part, a pour conséquence une concurrence de ces deux puissances sociales dans la revendication du statut de « gardien des promesses démocratiques », pour reprendre une expression d’Antoine Garapon. Différentes contributions de cet ouvrage s’attachent ainsi aux points de tension des rationalités qui caractérisent l’action des juges d’une part, le travail journalistique d’autre part. Quant on sait que la Cour européenne des droits de l’homme a développé en la matière une « balance des intérêts » qui prétend atteindre à « l'équilibre » en fonction de « l'intérêt pour le débat public » (ou « l'intérêt pour le débat d'intérêt général ») de la publication ou de l'allégation litigieuse mais qui consiste en de nombreux « standards juridiques », on aura compris qu’en droit une « information » (puisque le privilège journalistique ne vaut que pour cet objet seul et pas pour les deux autres objets de la liberté d’expression que sont les « opinions » et les « idées ») n’est jamais qu’un énoncé reconnu comme étant… une « information »… par les juges (juges nationaux ou juge européen).
L’Association consacre donc en 2010 un colloque au droit de la culture. Son thème (La Gratuité de la Culture au prisme du Droit) a évidemment pour lui l’inscription durable de la gratuité des « consommations » culturelles dans le débat public : gratuité des musées pour les jeunes (vœux du président de la République aux acteurs de la culture à Nîmes le 13 janvier 2009) ; états généraux de la presse (concurrence du gratuit, aides publiques aux « services de presse en ligne ») ; débats sur la loi Hadopi. De cette résonance avec les débats sur « l’économie de la gratuité », le colloque ne voudrait pas inférer une « parole » sur la gratuité prétendument et évidemment prescrite par le droit (autrement dit une doxa juridique) mais voir dans quelle mesure certaines catégories juridiques actuelles sont des ressources ou des contraintes pour un idéal de gratuité structurellement attaché à la (nouvelle) « religion civile » qu’est « la culture ».
* Programme et inscription du colloque « La Gratuité de la Culture au prisme du Droit », le 16 avril 2010 à la Mairie du IVe arrondissement de Paris, Salle des fêtes, 2 place Baudoyer
* Le site de l'Association française de droit des médias et de la culture