"Le spectre du totalitarisme fait planer son ombre" en République tchèque affirme Aviezer Tucker, dans le Prague Post, hebdomadaire anglophone publié dans la capitale tchèque. Dans une tribune intitulée "The metamorphosis continue" (The Prague Post, 19-25 novembre 2008) et publiée quelques jours après la commémoration de la Révolution de Velours, Aviezer Tucker, chercheur autralien à l'Université de Belfast et notamment auteur d'un livre sur la dissidence politique (The Philosophy and Politics of Czech Dissidence from Patocka to Havel, University of Pittsburgh Press, 2001), affirme que si le pays entre dans sa vingtième année après la fin de "l'occupation étrangère et l'oppression intérieure", "le totalitarisme retrouve une seconde vie dans les habitudes et normes quotidiennes". Si les barrières physiques sont tombées, les barrières des esprits, elles, bien plus difficiles à "détecter et à démanteler", restent en place.

Aviezer Tucker reconnaît le succès de la transition démocratique opérée après 1989, avec la consolidation de la vie parlementaire, du pluripartisme, d'une alternance politique pacifiste et d'une économie ouverte. Comme preuve de cette réussite, il avance l'intégration dans l'OTAN et l'Union européenne, priorité de la politique étrangère tchèque après 1989. Il reconnaît  aussi que tous les régimes n'ont pas connu une transition aussi rapide, mais également que le chemin vers la démocratie est "réversible", en faisant référence à la "restauration de Poutine en Russie". Aviezer Tucker énonce alors sa thèse : si une révolution politique s'est bien produite, une révolution sociale et culturelle n'a pas eu lieu.


Pas de "redistribution significative du pouvoir"

Il énonce alors les maux dans lesquels il voit les restes du totalitarisme. En premier lieu, la chute du communisme n'a pas été accompagnée par une "redistribution significative du pouvoir". À la chute du totalitarisme, les dissidents ont remplacé une partie seulement des élites politiques et médiatiques, si bien qu'une partie des élites en place sous le régime communiste est restée. D'où le fait que "les réformes avancent lentement, souvent sans conviction et se heurtant à une considérable résistance et à de la corruption".

L'éducation, bien que "dépolitisée et plus accessible aux tchèques", a peu changé. En particulier, Aviezer Tucker reproche aux professeurs "de choisir eux-même leurs étudiants qui les remplacent". Il conteste également les méthodes d'éducation, excluant "les formes d'enseignement et d'évaluation qui encourage des compétences d'imagination, d'analyse et de recherche".


L'échec total du traitement des minorités ethniques

Bien que la police et la justice ne soient plus "les instruments aveugles de la répression", il reste également du chemin à parcourir dans le respect de la loi. En particulier, Aviezer Tucker cite la "relative impunité" dont bénéficient les hommes politiques et les membres de l'administration. Le système judiciaire n'a pas encore développé un système de "check and balances" capable de lutter efficacement contre la corruption.

Aviezer Tucker fait aussi référence au problème des minorités ethniques, en particuliers les Roms ou les immigrants Vietnamiens : "le traitement de l'autre a été un échec total". La question des Roms est en plein coeur de l'actualité tchèque et le Prague Post fait justement sa une sur les violents affrontements qui ont eu lieu lundi 17 novembre, à Litvínov dans le nord-ouest de la République tchèque, entre la police et plusieurs centaines de militants d'extrême-droite venus pour agresser l'importante communauté Rom.

 

 

À propos de ces événements, le Prague Post blâme dans un éditorial "le manque d'efforts entrepris par le pays, et particulièrement le gouvernement national et les gouvernements locaux, pour intégrer les Roms dans une plus large société".

 

Une vie intellectuelle "provinciale"

Enfin, Aviezer Tucker considère comme "le plus décevant aspect" de la société tchèque post-1989 "le déclin de la classe intellectuelle". D'après lui, "les intellectuels tchèques ne se sont pas bien adaptés à la fin du communisme et on échoué à trouver une voix pour exprimer des idées originales". À ses yeux, la vie intellectuelle est devenue "plus provinciale" que lors de la période communiste, tandis que les tchèques "sont tombés dans volontaire amnésie collective".

L'ensemble de ces arguments conduit l'auteur à demander un "ré-examen de la société et culture tchèques", avant de conclure que la "transition démocratique n'est toujours pas achevée"

 

* Aviezer Tucker, "The metamorphosis continue", The Prague Post, 19-25 novembre 2008.

* À lire également sur nonfiction.fr :

- Victor Joanin, "La presse tchèque craint un retour à la censure gouvernementale".