Courant juillet, nonfiction.fr rendait compte de l'ouvrage de Daniel Bermond, Pierre de Coubertin (Perrin). Quelques jours plus tard, le 8 août dernier, Pierre Assouline publiait sur la République des livres une vive réponse de l'auteur à notre rédacteur, Jérôme Segal. Ce dernier réplique aujourd'hui dans le texte qui suit.

 

1. Je comprends bien qu'un auteur soit mécontent de lire un compte-rendu plutôt négatif de son ouvrage. En l'occurrence même si je reconnais "l'honnêteté" de sa démarche et que je précise que "[l]e récit est riche et les références nombreuses grâce aux notes en fin de volume et à une bibliographie thématique conséquente"... l'impression générale est bien négative.


2. Ses propos à mon égard cherchent inutilement à être humiliants : il m'accuse de "cuistrerie" sans donner d'exemple, il écrit : "je lui reconnais une attention soutenue, certes un peu laborieuse dans son expression" puis se demande si j'entretiens "à plaisir le confusionnisme" (sic). Est-il si blessé que ça pour se comporter ainsi ? Si oui, j'en suis sincèrement désolé. Désolé aussi d'avoir écrit parfois "Bremond" au lieu de "Bermond". Visiblement, il en est très affecté, je lui présente mes plus plates excuses. J'ai laissé passer cette coquille et l'équipe de nonfiction.fr aussi. Mea culpa. Mais bon, ce n'est pas la façon dont je concevais l'échange envisagé avec lui. Il m'a envoyé un bref message début août, j'étais en vacances, nous étions convenus d'échanger à partir du 15 août, et je trouve  à mon retour un tombereau d'accusations souvent illégitimes (voir ci-dessous).


3. Il y a points qui relèvent du quiproquo. J'écris qu'il est regrettable qu'une si riche bibliographie ne soit pas plus utilisée dans le texte, il me répond en affirmant qu'un des titres (la biographie écrite par Marie-Thérèse Eyquem en 1966) ne méritait pas qu'on s'y attarde. Là n'est pas la question, je le crois volontiers, n'étant pas spécialiste de Coubertin. Seulement, il me paraît essentiel, pour un historien biographe, d'expliquer comment il se situe par rapport aux nombreuses biographies existantes. Les citer à la fin en bibliographie ne suffit pas. On apprend cela à tout étudiant, non ?


4. La France qui n'est pas "terre d'olympisme". C'est un point intéressant qui mériterait d'être abordé en détail. Dans l'espace anglophone, on parle plus souvent de William Penny Brooks que de Coubertin. Pourquoi Bermond ne s'intéresse-t-il pas davantage aux sources anglophones sur l'olympisme ? Je suis persuadé qu'il les a lues.


5. Antisémitisme. Il écrit : " Et tant pis si M. Segal a l'air de regretter que je ne dise pas tout crûment, ce qui l'aurait visiblement arrangé, que le baron était antisémite. Non, il ne l'était pas de manière obsessionnelle, mais il n'était pas non plus dreyfusard. Quant à ce qu'il écrit de la "haute finance israélite", un Jaurès aurait pu l'écrire. Malheureusement, cet antisémitisme mou imprégnait les esprits de ce temps, à droite et à gauche, il faut le reconnaître sans vouer nécessairement aux gémonies ceux qui s'y livraient par conformisme et facilité. Est-ce si difficile à saisir ? Coubertin n'était pas Drumont, il n'était même pas Siné…"
- Le propos est paradoxal : l'auteur reconnaît bien que c'est une forme d'antisémitisme. Le fait qu'il soit largement partagé à l'époque (peut-être même par Jaurès) ne change rien à l'affaire. Je persiste. Comme Bermond le rapporte, Coubertin écrit que "la haute finance israélite a pris, à Paris, une influence beaucoup trop forte pour ne pas être dangereuse et qu'elle a amené, par l'absence de scrupule qui la caractérise, un abaissement du sens moral et une diffusion de pratiques corrompues" (en 1896 dans son livre L'évolution française sous la Troisième République). Si Bermond n'y voit pas d'antisémitisme et entend contextualiser cette citation, il manque quelques pages à son livre !
- De grâce, laissons le feuilleton de l'été (Siné/Val/BHL) et consorts de côté.


Coubertin était raciste, conservateur, colonialiste, antisémite et misogyne et ce n'est pas un hasard si deux au moins de ces qualificatifs s'appliquent à chaque président du CIO... Dans le cas de Coubertin, je ne pense pas qu'un quelconque relativisme historique permette d'oublier cet aspect du personnage, trop peu présent à mon goût dans cette biographie. En outre, j'ai l'impression que la forme actuelle des Jeux olympiques est liée à ces travers du "grand fondateur". Les intérêts liés à l'olympisme sont devenus supérieurs aux valeurs élémentaires telles que les Droits de l'homme. Cf. Albert Jacquard, Halte aux Jeux ! (Stock, 2004) ou les quatre derniers numéros de la revue Quel sport ? que j'ai eu le plaisir de présenter aux lecteurs de nonfiction.fr.