Un ouvrage salutaire et indispensable sur un pays profondément méconnu.
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Dès les premiers mots de Égypte, l’envers du décor, Sophie Pommier définit clairement son ambition : "Cet ouvrage est né en réaction au silence qui entoure aujourd’hui l’Égypte".
En effet, au-delà d’un imaginaire mythique du Sphinx et des trésors de Toutankhamon, l’Égypte est un des pays les plus incompris du Moyen-Orient. Le régime utilise habilement ce déficit d’information, pour se donner une grandeur diplomatique de plus en plus illusoire, tout en tenant le pays d’une main de fer.
Un pays peu connu et très mal compris
De l’Égypte contemporaine, on connaît tout au plus les attentats qui ont frappé les sites touristiques, et le mouvement des Frères Musulmans, dont le rôle est tour à tour glorifié au nom de la démocratie ou dénoncé comme le cheval de Troie islamiste. À l’heure de la succession prochaine de Hosni Moubarak, il est bon de se pencher sur ce pays et d’aller au delà de ces images préfabriquées. Égypte, l’envers du décor vient donc à point nommé pour pallier une ignorance et une mésinterprétation du pays, qui ne manque pas d’agacer toute personne ayant une connaissance plus fouillée de l’Égypte contemporaine.
La tâche n’est pas aisée, surtout que l’ouvrage de Sophie Pommier couvre des champs divers : histoire, économie, démographie, politique étrangère, régime, société civile, religion. C’est là toute la force du livre : rester pédagogique dans tous ces domaines, sans jamais céder à la facilité ni à la caricature. Si un sujet est complexe, si les éléments actuels ne permettent pas de trancher, alors Égypte, l’envers du décor ne cherche pas à tirer des conclusions hâtives, quitte à laisser le lecteur avec ses questions.
Le religieux, objet de tous les fantasmes
S’il y a bien un sujet délicat à traiter, notamment quand on parle de l’Égypte, c’est la question religieuse. Le régime égyptien, à l’instar de nombreux autres régimes de la région, notamment du Maghreb, a en effet un rapport au religieux très ambigu : entre volonté de contrôle et surenchère islamique, il y a de quoi dérouter.
Les Frères Musulmans sont souvent rapidement qualifiés de "première force politique du pays" pour le plus grand bonheur du régime qui reste ainsi pour les puissances occidentales un "moindre mal". La réalité de leur soutien populaire et de leurs rapports au pouvoir est ici passée au peigne fin. Il en ressort un bilan bien plus complexe que ce que le pouvoir égyptien laisse entendre sur la scène internationale.
Les Frères Musulmans, à l’image des citoyens, sont en effet partagés sur des points aussi fondamentaux que les rapports à entretenir avec le gouvernement, ou le degré de libéralisme des positions politiques et sociales.
Le régime, qui contrôle de près la liberté de parole – étonnant paradoxe – empêche le mouvement de s’organiser formellement et d’adopter une position claire. Les Frères Musulmans ne souhaitent probablement pas non plus clarifier les choses, ce flou entre les discours des dirigeants du mouvement lui permettant de ratisser large. Au vu de la réaction des pays occidentaux à l’élection du Hamas (branche palestinienne des Frères), la multiplicité des discours permet également de rassurer le cas échéant ces démocraties occidentales.
La politique étrangère, instrument traditionnel de la puissance égyptienne
En raison de sa position géographique, rencontre entre le Maghreb, le Golfe et le Moyen-Orient, l’Égypte a longtemps utilisé la diplomatie comme un instrument de puissance et de rayonnement. Aujourd’hui, cette influence est menacée par l’émergence de nouveaux pôles diplomatiques comme l’Arabie Saoudite.
Comme le souligne Sophie Pommier, la politique étrangère égyptienne est arrivée à une impasse, et oscille entre deux aspirations contradictoires. Pour rester un acteur central dans la région, l’Égypte ne peut se passer du soutien de Washington, ce qui suppose une politique de bonne conduite internationale, en particulier dans la gestion de la relation à Israël. Pourtant, cette politique de normalisation avec Israël a coûté cher au régime, et le discrédite aux yeux de sa population. L’Égypte est ainsi empêtrée dans ses contradictions, tolérant voire encourageant un discours très antiaméricain et anti-israélien dans la société, tout en jouant les premiers de la classe moyenne orientale pour les beaux yeux de son indispensable allié.
La société civile : un mythe occidental ?
L’ouvrage se clôt sur un sujet très apprécié des démocraties occidentales et des organisations internationales : la société civile. Beaucoup d’espoirs (déçus) ont été placés sur les épaules de la société civile en Égypte, comme dans de nombreux pays de la région.
Les ONG, relais providentiels de cette société civile, ont ainsi reçu d’importantes sommes pour servir l’objectif de démocratisation, et d’éducation politique des citoyens qui leur était prêté. Cependant, le régime règlemente tous les secteurs d’où pourrait naître une contestation d’une main de fer, et les associations n’échappent bien entendu pas à la règle. De plus, l’aide étrangère induit des biais qui peuvent avoir des effets pervers, dont certains sont décrits dans l’ouvrage.
Cet ouvrage riche et passionnant dépeint l’Égypte telle qu’elle est aujourd’hui, avec ses contradictions et ses urgences, mais aussi son dynamisme et son aspiration – au moins à la base – au changement. Pourtant, on ne peut qu’être assez pessimiste, avec l’auteur, sur la capacité actuelle du pays à se réinventer et à trouver un nouveau souffle.
* À lire également sur nonfiction.fr : la critique de Égypte, l’envers du décor, par Théo Corbucci.