Trois médiévistes décryptent les usages politiques et culturels de la figure de Robin des Bois, entre origines médiévales, lectures sociales et réinventions cinématographiques.
L'ouvrage Robin des Bois. De Sherwood à Hollywood propose un parcours historique et culturel de la légende de Robin des Bois. Il met en relation les textes médiévaux, les usages populaires et les adaptations filmiques. Le propos insiste sur la plasticité d’un mythe qui change selon les publics et les époques. Les trois contributeurs sont spécialistes de la réception du Moyen Âge dans la culture populaire : William Blanc est historien spécialiste de médiévalisme, Justine Breton est maîtresse de conférences en littérature française à l’Université de Reims et Jonathan Fruoco est professeur agrégé d’anglais, spécialiste de littérature médiévale. Le volume articule études de sources, analyses culturelles et remises en contexte historique.
Origines et trajectoire du mythe
Les contributeurs replacent Robin dans une généalogie de récits populaires. Le personnage apparaît dans la tradition orale et s'affirme à la fin du Moyen Âge. Il correspond souvent à la figure du yeoman, catégorie sociale intermédiaire, armée d'un arc et impliquée dans les conflits fiscaux et militaires du temps. La lecture sociale du mythe le présente comme une réponse aux tensions entre paysans, classes moyennes et noblesse. Cette approche rétablit des contextes souvent effacés par la lecture romantique et montre que le hors-la-loi n'est pas seulement un héros individuel mais un produit de rapports sociaux précis.
Jonathan Fruoco analyse les textes médiévaux qui présentent la légende. Il remet en circulation des poèmes, des ballades et des saynètes qui ont formé la mémoire du hors-la-loi. Ses éditions et traductions permettent de lire les sources sans le filtre des adaptations modernes. Le travail philologique aide à mesurer les variations du récit selon les genres littéraires et à distinguer ce qui relève de la tradition populaire de ce qui relève d'une reconstruction ultérieure.
De la révolte sociale à la domestication politique
Le livre insiste sur l'ambivalence de la figure de Robin des Bois. Selon le contexte, il incarne la révolte contre l'ordre féodal, la protestation contre la fiscalité ou la nostalgie d'un ordre perdu. À certaines époques, il devient un noble déclassé ; à d'autres, il reste un bandit social porteur d'une revendication égalitaire. Le basculement vers des formes consensuelles s'opère lorsque la littérature jeunesse et la culture de masse effacent les aspérités politiques et transforment le hors-la-loi en modèle d'aventure inoffensive. Les contributeurs donnent des exemples concrets pour montrer la plasticité du mythe. Le même personnage sert aujourd'hui des lectures opposées : il est invoqué dans des discours progressistes comme dans des discours antifiscaux. La période qui a suivi la crise de 2008 a vu un renouveau des interprétations sociales du mythe, que le livre documente par une série de cas et autres pistes d'analyse.
L’interprétation du mythe intègre également une réflexion sur les représentations féminines. La figure de Marianne (Maid Marian), compagne de Robin des Bois, a connu des déclinaisons multiples : amante passionnée, partenaire d’action, héroïne féministe ou simple figure romantique. Les versions destinées à la jeunesse, en particulier, tendent à gommer cette diversité en orientant Marianne vers un rôle plus sage et normatif, participant ainsi à la domestication du mythe au féminin. L’étude de la réception par le jeune public éclaire alors les logiques de transmission intergénérationnelle du récit et montre comment Marianne s’est transformée en une icône consensuelle, lissée de ses aspérités.
Hollywood et la construction moderne du héros
La partie consacrée au cinéma montre comment l'industrie du spectacle a remodelé la figure de Robin des Bois. Le parcours va des premières reconstitutions muettes à la grande ère des productions parlantes. Douglas Fairbanks puis Errol Flynn incarnent des jalons particulièrement importants : la figure y devient spectaculaire, héroïque et porteuse d'un message idéologique qui varie selon le contexte politique.
Le film Les Aventures de Robin des Bois de 1938 est étudié comme un moment où spectacle et lecture favorable à la démocratie libérale se combinent, rendant le mythe compatible avec des récits nationaux et des stratégies de soft power. Les mises en parallèle avec Jesse James, Joaquin Murrieta ou Zorro servent l'argument. Ces comparaisons montrent comment la forme « justicier hors-la-loi » s'adapte aux problématiques nationales : parfois elle est sociale, parfois elle devient une icône de l'ordre restauré.
Réception du passé et écriture de l’histoire
Le collectif réussit à mettre en regard philologie, histoire sociale et études culturelles. La synthèse reste accessible avec des exemples concrets et un vocabulaire clair. Les textes éclairent les usages politiques et culturels sans sacrifier la rigueur documentaire. La préface, signée par Michel Pastoureau, situe l'entreprise dans un dialogue historiographique sur le médiévalisme et la réception du passé. La synthèse convainc par sa cohérence et sa capacité à relier textes anciens et productions contemporaines.
Le principal mérite du livre tient à sa mise en perspective sur le temps long du mythe de Robin des Bois : sources médiévales, usages populaires et adaptations filmiques se répondent et éclairent la trajectoire historique du mythe. Le travail d'édition et de traduction des textes anciens constitue un atout pour la recherche et la diffusion. En revanche, la perspective reste majoritairement anglo-saxonne et nord-américaine. Les usages du mythe dans d'autres aires linguistiques, dans les contextes coloniaux ou post-coloniaux, restent peu abordés. Un élargissement comparatif vers l'Europe continentale, l'Amérique latine ou l'Asie (de Sherwood à Bollywood ?) renforcerait la portée transnationale du propos.
En définitive, Robin des Bois. De Sherwood à Hollywood offre une synthèse solide et accessible sur la fabrique d'une légende en mouvement. Le livre rappelle que les légendes servent des représentations et des stratégies politiques et qu'elles se réinventent selon les médias et les enjeux. Ce livre invite à comparer ce parcours à d'autres mythes transnationaux et à observer comment la pop culture module les résistances sociales.