Une réponse détaillée et contextualisée à un essai polémique visant les prises de positions d’Albert Camus concernant la colonisation.

En 2023, l’universitaire Olivier Gloag publiait un essai polémique intitulé Oublier Camus. Dans ce dernier, le spécialiste de Camus et de Sartre entendait déboulonner méthodiquement le mythe entourant l’auteur de L’Étranger en pointant en particulier son soutien implicite au colonialisme français en Algérie, mais également ses hésitations sur le sujet de la peine de mort ou son sexisme. Agacés par les arguments de Gloag et par la réception médiatique favorable qui a suivi, notamment de la part des milieux liés à son éditeur (La Fabrique), Christian Phéline et Faris Lounis ont décidé de répondre point par point à cette charge dans Retrouver Camus. Christian Phéline, ancien haut-fonctionnaire dans le domaine de la culture, est l’auteur de plusieurs livres sur l’Algérie ; Faris Lounis est journaliste, linguiste et philosophe de formation.

Les deux auteurs ont notamment voulu réagir à la proposition de « déprogrammer » Camus des enseignements scolaires, qui témoigne selon eux d’un débat sans aucune nuance, entre défenseurs d’un Camus consensuel et pourfendeurs d’un écrivain soudain devenu infréquentable. Eux, au contraire, veulent inviter à une évaluation contextualisée, autrement dit historienne, des différentes œuvres et prises de position du prix Nobel. Ainsi, Gloag n’aurait instruit qu’un « procès tout à charge qui […] fait autant violence à l’histoire (en ne rapportant pas les textes ou prises de position à leur conjoncture politique exacte) qu’à la littérature (en confondant le plus souvent le point de vue du romancier et celui de ses narrateurs ou personnages)  ». Le propos de Gloag entrerait de la sorte en résonance avec les combats qualifiés de binaires de certains militants antiracistes qui en viennent à essentialiser les « Blancs » et les « Autres  », au détriment de solidarités de classes pouvant être nouées entre différentes catégories dominées. Qui plus est, Oublier Camus aurait contribué à glorifier les acteurs de l’indépendance algérienne sans s’interroger sur leurs conflits internes et certains de leurs agissements, comme les violences contre les civils perpétuées dans l’Algérie de l’après-guerre.

Retrouver Camus propose donc une réfutation très détaillée et sourcée – à travers les textes d’Albert Camus, dont les citations avaient parfois été tronquées par Gloag de manière à induire des contre-sens – de nombreux arguments d’Oublier Camus. Le livre souffre néanmoins du travers récurrent de ce type d’ouvrage écrit en réaction à un autre : sa lecture est inséparable de celui qu’il dénonce et dont il contribue paradoxalement à amplifier l’écho. Les deux auteurs évitent en tout cas de verser dans l’hagiographie et reconnaissent les limites de certaines des déclarations de Camus. Ils font également le parallèle avec le sort parfois réservé à George Orwell, symptomatique « de cette campagne de censure rétroactive [et] […] révélateur de la méthode intellectuelle profondément obscurantiste qui, sous des allures “progressistes”, s’y montre à l’œuvre. » Autrement dit, face aux enjeux contemporains, les auteurs du passé comme les acteurs du présent seraient sommés de choisir leur camp, parfois au détriment de la nuance ou de la recherche de la vérité.