Le récit, par Olivier Bétourné, des derniers jours du roi et des débats qui conduiront à sa décapitation permet de mettre à jour une série de conflits de légitimité politique.

Dans Aurais-je été résistant ou bourreau ? (Minuit, 2013), Pierre Bayard s’interrogeait sur l’attitude qu’il aurait tenu pendant l’Occupation. C’est une interrogation comparable qui a motivé Olivier Bétourné, auteur, il y a deux ans, de L’esprit de la Révolution française (Seuil, 2022), dans La Mort du Roi concernant un autre épisode tout aussi important et douloureux pour les Français : la Révolution française et l’exécution de Louis XVI. Il n’est, bien évidemment, pas le premier historien à s’intéresser à l’événement, qui a notamment retenu l’attention de Jean Jaurès, mais ses prédécesseurs auraient négligé un élément crucial : « le roi déchu ne semble pas comprendre grand-chose à ce qui lui arrive » et, en dépit de sa stratégie de défense qui le conduit à mentir, « fondamentalement, il vit dans un autre espace mental que celui qu’habitent ses contradicteurs ». Ses accusateurs et le roi évoluent dans deux registres de légitimité différents, ce qui explique que Louis XVI se considère en toute bonne foi comme innocent des griefs qui lui sont fait.

Les discours autour du roi

Olivier Bétourné s’efforce ainsi de faire ressentir au lecteur contemporain le malaise que suscite le procès, le jugement, puis l’exécution du roi, en exposant les arguments contradictoires et les subjectivités des acteurs. Il ne s’agit pas d’une banale affaire judiciaire : son issue est hautement symbolique, en quelque sorte « le baptême de la République » fondée sur l’égalité. L’écho de cet événement fondateur et tragique continue de nous parvenir, entre héroïsme, nécessité et dégoût. Autant d’obstacles à sa juste compréhension ? D’autant qu’il s’agit de l’acte de naissance d’une République des Égaux quasi mort-née et vite remplacée par une succession de régimes. Pourtant, l’idéal d’égalité absolue, intrinsèquement lié à la décapitation de Louis XVI, marque fortement de son empreinte la culture politique française. Selon l’historien, « revenir [sur cet événement] se justifie aussi par le souci de lever ce qu’il reste d’opacité dans le transfert de sacralité de la monarchie à la république. »

Le livre d’Olivier Bétourné « s’efforce de saisir d’un même mouvement la vie quotidienne du roi au Temple et les débats qui déchiraient au même moment la Convention tandis que la rue à Paris exigeait la mort dans le contexte d’une guerre extérieure sans merci. Le récit au plus près de l’expérience des acteurs commande ici l’appréhension du tragique, c’est lui qui donne accès à la profondeur du conflit de légitimité [droit divin versus souveraineté du peuple ; monarchie ou république] qui hante la Convention et mine le souverain détrôné, lui encore qui révèle le processus de désacralisation progressive du corps du roi et permet d’accéder à la logique théologico-politique de la mise à mort. » Ce faisant, l’historien livre un récit très bien écrit, vivant et restituant toute la complexité de cet événement.

Fondé sur une relecture méticuleuse des sources primaires – dont de larges extraits, en particulier de discours, sont proposés –, il s’organise autour de trois temps forts : celui du procès, du jugement et de l’exécution, alternant entre le quotidien de la vie au Temple – où sont incarcérés le roi et sa famille –, et les argumentaires juridiques et politiques échangés à la Convention – où se jouent son destin et celui du nouveau régime. La représentation de ces différents événements fait également l’objet d’une grande attention. La réflexion se termine par une comparaison entre les expériences historiques anglaise et française d’exécution de leurs rois.

Entre rivalités politiques et vide juridique

Paradoxalement, alors que le roi s’accroche à sa légitimité divine, son quotidien familial au Temple ressemble de plus en plus à une vie bourgeoise. De leur côté, une partie des Conventionnels, Girondins en tête, s’efforce de faire du roi un citoyen ordinaire pour préserver les principes de la justice et lui éviter une mort qui semble inéluctable du fait de la pression de la rue parisienne. Son procès se tient en effet dans un contexte de rivalités politiques entre Girondins et Jacobins, entre tenants d’une démocratie représentative et d’une démocratie directe, qui éclipsent presque le sujet de leurs débats : le sort du roi.

Le relatif vide juridique qui entoure la situation n’aide en rien : comment juger un roi absolu, donc autorisé à exercer son arbitraire ? Puis, un monarque constitutionnel, dont la responsabilité des décisions échoit à ses ministres ? Son jugement était de fait « impossible » ; son procès, à la fois injuste et inéquitable. Le roi en était bien conscient et consacra ses derniers jours davantage à son salut de chrétien qu’à sa défense de monarque. Malgré l’habile retournement des arguments des révolutionnaires par ses trois avocats (Malesherbes, Sèze et Tronchet), « ce processus complexe conduira le roi à l’échafaud ». La mise en scène de son exécution révèle la conscience qu’ont les républicains de la symbolique du moment dans la contribution à la naissance du nouveau régime. La chasse aux reliques par les royalistes ou le sang porte-bonheur du roi recherché par les sans-culottes témoignent encore de la dimension sacrée du monarque.

L’acte de naissance de la république

Que nous apprend la comparaison avec l’exécution en 1649 de Charles Ier, également condamné pour haute trahison ? Dans le premier cas, Charles est décapité en tant que « mauvais roi », mais sa disparition n’entraîne pas celle de la monarchie ; dans le second, Louis meurt « en tant que roi » pour laisser place à une nouvelle forme de gouvernement. S’inscrivant dans la continuité des analyses d’Ernest Kantorowicz sur « les Deux Corps du roi », Olivier Bétourné réfute l’association traditionnelle entre Angleterre et compromis grâce à sa monarchie constitutionnelle, alors que celle-ci a masqué au contraire une grande violence sociale pour ses classes populaires.

L’édifice sur lequel reposait la légitimité du roi français était plus fragile : il était le représentant de Dieu sur Terre et non son incarnation, comme son cousin anglais. Par ailleurs, l’idée de nation puis de souveraineté populaire (Jean-Jacques Rousseau), ainsi que les guerres de Religion et la Fronde, contribuent progressivement à mettre en cause la légitimité du roi. Pour autant, jusqu’à la fuite du roi à Varennes, le changement de régime n’était pas à l’ordre du jour des révolutionnaires. L’enchaînement des événements fait changer de « visage » la Révolution, tout comme le roi, que les caricatures représentent dès lors en porc, contribuant à sa désacralisation. Il faut attendre le 10 août pour que l’idée de République commence à faire son chemin, aiguillée surtout par celle d’égalité.