En revenant aux sources de la Révolution française, Olivier Bétourné s’efforce de la faire revivre et de montrer en quoi elle est la « culture partagée » des Français.

Ancien éditeur, notamment dirigeant du Seuil et de Fayard, Olivier Bétourné est également historien, étudiant d’Albert Soboul, et auteur avec Aglaia I. Hartig de Penser l’histoire de la Révolution. Deux siècles de passion française (La Découverte, 1989). Il vient de publier L’esprit de la Révolution française, une fresque qui revient sur l’histoire de cette période et, plus particulièrement, sa composante jacobine. A travers les portraits brossés et les épisodes relatés, il s’efforce de montrer dans quelle mesure la Révolution résonne dans notre époque.

Des structures à la subjectivité

« Mais de quoi était donc fait l’esprit de la Révolution pour que plus de deux siècles après il nous éclaire encore ? » s’interroge-t-il au seuil de son livre, rappelant que celle-ci a été interprétée différemment suivant les contextes historiques depuis son avènement. A la suite des historiographies libérales et marxistes, c’est désormais le « sujet » qui serait au centre des préoccupations relatives à l’histoire de la Révolution, au détriment des structures. Si les historiens n’ont jamais été complètement aveugles au poids des individus, Olivier Bétourné propose d’« aller plus loin. Car si l’événement leur doit quelque chose, ces hommes doivent beaucoup à l’événement. La Révolution les a changés. »

Il est alors nécessaire de se plonger dans leur psychologie qu’explore celui qui est aussi le mari d’Elisabeth Roudinesco, à qui son essai est dédié. Subjectivité ne veut pas dire oublier les structures ; Olivier Bétourné indique d’emblée qu’il « adhère pleinement à la perspective tracée par l’historiographie classique de la Révolution française, celle d’une révolution bourgeoise à soutien populaire, une révolution à large autonomie paysanne et urbaine. » Ce supplément psychologique doit permettre de revenir sur les mythes qui constituent encore la culture politique française et de déceler ce qu’ils doivent aux acteurs de la Révolution.

Débats, acteurs et mythes

Olivier Bétourné s’attache d’abord à restituer les débats idéologiques qui marquent les années de formation des futurs protagonistes de l’événement, en particulier autour de la question de la souveraineté : émane-t-elle de Dieu, via le Roi, ou du Peuple ? Puis, il s’intéresse à la jeunesse de six « grands acteurs » qui marquent le Club des Jacobins, lieu central de l’histoire de la Révolution et « creuset de la culture politique française d’aujourd’hui » : Mirabeau, La Fayette, Alexandre de Lameth, Barnave, Pétion et Robespierre. Enfin, son « récit de la Révolution […] est fragmenté en autant de mythes qu’aura générés la séquence toute entière, depuis la réunion des Etats-Généraux jusqu’aux lendemains de Thermidor » : la liberté, une culture politique de « la rupture et de l’exclusion », un souhait d’unité nationale à l’image de la Fête de la Fédération, la naissance presque par défaut du régime républicain, l’égalité bien sûr, juridique mais pas uniquement, et la lutte constante après 1789 entre ceux qui souhaitent terminer la Révolution et ceux qui désirent la prolonger. Le tout s’achève sur l’invocation de la pertinence de nombreux aspects, même imparfaits, de la Révolution pour éclairer notre présent et notre avenir, notamment européen.

L’auteur l’assume : il se fonde avant tout sur un « corpus de sources primaires ». Mémoires, correspondances, discours – tous abondamment cités – soutiennent son propos. Les historiens sont rarement convoqués, sauf dans une bibliographie sélective où certaines absences peuvent surprendre, comme celles de Roger Chartier, Jonathan Israël, Pierre Serna ou encore Timothy Tackett. Une démarche originale donc, laissant de côté l’historiographie de la Révolution, afin de laisser une large place aux acteurs de l’événement, grâce au retour aux textes, offrant ainsi un récit vivant, couplée à l’ambition de mieux prendre en compte la personnalité des principaux protagonistes.