Un ouvrage collectif prend la maquette d’artiste pour objet de réflexion à part entière et en montre la spécificité et la valeur artistique propre, indépendamment de l’œuvre qu’elle préfigure.
La première image que l’on se fait d’une maquette en matière d’art est celle d’un intermédiaire entre l’idée première de l’artiste et sa réalisation finale. Elle peut être le support d’une présentation ou d’une étude, à un moment où l’œuvre est encore en préparation. Ainsi, lorsque cette dernière est achevée, la maquette devient une réalité obsolète, que l’on abandonne ou que l’on détruit.
L’ambition du livre D’après maquettes, publié en collaboration entre les éditions Manuella et le Pavillon Bosio (école d’art de Monaco), est d’arracher cet objet à son rôle secondaire et temporaire afin de le considérer comme une composante essentielle de la pratique artistique. En s’appuyant sur le travail d’artistes tels que Thomas Demand, Esther Ferrer, Didier Fiuza Faustino ou Dominique Gonzalez-Foester, entre autres, les analyses montrent que ces maquettes, bricolées dans de nombreux cas à partir de matériaux de récupération ou remaniées de nombreuses fois en vue d’un ajustement, ouvrent un véritable espace de création et peuvent valoir pour elles-mêmes.
Dirigé par Mathilde Roman et Thierry Leviez, deux enseignants du Pavillon Bosio, cet ouvrage est issu d’un colloque qui s’est tenu à Monaco. Les différentes contributions sont enrichies d’essais illustrés et d’un ensemble de photographies, clairement exposées en pleine page, proposant des visuels de maquettes et d’œuvres dispersées dans le monde entier (en France, en Allemagne, et en particulier à Münster), en Autriche, en Angleterre, en Italie, etc.).
Le travail des maquettes
Il arrive parfois que l’on retrouve des maquettes après coup, dans les « restes » ou les archives d’un artiste décédé. Alors, elles reprennent vie sous forme d’objets exposables au public, permettant de retrouver la trace d’un projet original abandonné ou de reconstituer une création perdue. Tout un travail peut alors être entrepris autour de ces maquettes : étude, restauration, exposition. Le Pavillon Bosio a en ce sens présenté une série d’expositions autour de maquettes possédées par le Nouveau Musée national de Monaco.
Certes, dans ces cas, on rapporte systématiquement la maquette à sa comparaison avec le « produit fini ». Encore que ces maquettes, qui proviennent d’artistes, ont été mises en scène par d’autres artistes (la scénographie étant l’une des spécialités du Pavillon Bosio), de sorte que s’engage une forme de redoublement réflexif en lui-même intéressant.
Mais pour fréquents qu’ils soient, ces usages des maquettes ne sont pas les plus révélateurs de la richesse créatrices dont elles sont porteuses. C’est ce dont témoignent les maquettes conservées par le Centre National des Arts plastiques (CNAP) — institution qui gère la collection des commandes publiques conduites par l’État. Celles-ci sont moins le reflet des œuvres ultérieures que des expressions du protocole à partir duquel travaillent les artistes, protocole par lequel ils donnent forme, dans la pratique, à une idée. Dans ce cas, les maquettes ne sont pas simplement figées dans la perspective d’une réalisation mais deviennent des objets autonomes sur lesquels opérer des ajustements ou des déplacements.
Dans le domaine de l’architecture, les maquettes permettent également d’observer des constructions depuis une perspective inédite, et notamment d’en haut. Cela permet de contempler, avec toute la supériorité que confère cette position de surplomb, les monuments les plus imposants. Ainsi en va-t-il de Hitler et Albert Speer, sur une photographie commentée dans l’ouvrage, examinant, agenouillés, une maquette du pavillon allemand pour l’Exposition universelle de 1937, comme s’ils admiraient leur propre puissance.
Au sujet des maquettes architecturales, un ample entretien conduit par Mathilde Roman avec l’artiste allemand Thomas Demand, qui élabore des maquettes en papier puis les photographie avant de les détruire, est instructif. Le photographe revient sur son intérêt pour l’architecture et relate notamment la genèse du projet de l'architecte Jean Nouvel pour la Fondation Cartier. Il explique que le jeu sur le verre et la transparence ne lui a pas été inspiré par les modes d'exposition des œuvres d'art mais par l'image de la vitrine, puisqu’il travaillait pour un bijoutier.
La maquette-œuvre
Il est encore certaines maquettes qui ne se laissent réduire à aucune réalisation ultérieure car elles ne se soumettent à aucune finalité. Ces maquettes se contentent de construire un projet d’espace et ne renvoie à aucune œuvre achevée. Esther Ferrer pose la question en ces termes : qu’est-ce qu’une maquette en soi ? Elle précise que si l’art est un processus, faire des maquettes en est la partie la plus importante : elles permettent de réfléchir, d’inventer, de se libérer des stéréotypes et des carcans acquis.
L’intérêt croissant du public pour les maquettes d’art et d’architecture, indépendamment de toute réalisation à taille réelle, est également un phénomène notable de ces dernières années. Cela tient peut-être à la démocratisation des pratiques de construction, de rénovation et de bricolage, qui permet à tout un chacun (comme à l’artiste) de s’exercer à fabriquer, à structurer, à réaménager et à recommencer, sans se préoccuper d’aucune réalisation finale. La valeur de la maquette réside alors tout entière dans l’exécution.
Telle est la démonstration de Marie-Ange Brayer dans un article sur la maquette comme objet d’expérimentation au XXe siècle : les maquettes d’artistes ont bel et bien leur autonomie. Cela va toutefois à l’encontre du jugement de Claude Lévi-Strauss publié dans La Pensée sauvage, selon lequel la maquette se limiterait au modèle réduit, sans l’envisager comme une expérience projective ou comme une géographie mentale.
La réflexion collective menée dans l’ouvrage se clôt par un article de Quentin Bajac, conservateur de musée et spécialiste de l’histoire de la photographie, qui décrit ce que signifie travailler avec des maquettes dans une équipe de recherche du musée. L’enjeu est encore différent des contributions précédentes, puisqu’il s’agit cette fois de mettre la maquette au cœur d’un processus de réflexion collective sur le mode d’exposition des objets d’art.
En choisissant cet objet d’étude, l’ouvrage explore finalement la multiplicité des points de vue sur les œuvres qui s’offrent au public, que seule la maquette rend possible.