En 22 chapitres passionnants, le grand reporter fait l’éloge de la liberté de la nage, qu’il pratique autant qu’il peut, partout et en toutes saisons.

Un homme en maillot de bain dans le fracas du monde

Grand reporter, directeur adjoint de France Info, Lucas Menget a toujours un maillot de bain dans ses affaires et se baigne dès qu’il le peut, et même dans les endroits les plus inattendus : « J’ai beaucoup nagé dans la piscine d’un petit hôtel de Bagdad, au plus fort de la guerre civile qui ravageait le pays. À chaque fois, j’y ai éprouvé plaisir et culpabilité. » Il a gardé une photo de presse de la piscine, découpée dans un journal et titrée : « People enjoy the pool at Hamra hôtel in July 2003. » Il apprendra en mars 2010 qu’une camionnette conduite par un kamikaze et remplie d’explosifs a forcé le barrage devant l’hôtel, qui s’est effondré dans la piscine et ne sera jamais reconstruit.

Lucas Menget a aussi fait l’expérience de « la mer à la guerre » en mars 2002, lors de la « seconde Intifada » en Israël et dans les Territoires palestiniens. Il a assisté pendant trois jours à l’assaut du camp de Jenine, puis un confrère l’a emmené à Tel Aviv : « On va aller voir la mer. » Cette expérience est à peine croyable : 

« En suspension entre deux mondes. Entre l’horreur et le plaisir. Entre la fureur et le sable. Une heure et demie plus tôt, je témoignais de trois journées d’enfer et de combats acharnés dans un camp de réfugiés entre de jeunes soldats et combattants. Ai-je le droit d’être ici maintenant ? […] La plage se remplit, de maillots, d’ivresse, de rires et de musique. Au bar, il est question du temps, de la plage, des prix des verres. Jamais de la guerre. Les Israëliens appellent Tel Aviv "la bulle". »

Un hymne à la liberté sensuel et très documenté

Dans la lignée de Héros et nageurs de Charles Sprawson, paru en 1992, ce livre est plein d’anecdotes sur des nageurs exceptionnels ou des expériences insolites.

Matthew Webb, dernier fils d’une famille anglaise de 12 enfants, fut le premier à traverser la Manche à la nage, le 12 août 1875, en 21 heures et 45 minutes. Le 24 juillet 1883, il tente l’exploit de traverser le Niagara à la nage. « Des trains spéciaux sont affrétés depuis New York, Boston, Toronto, Montréal. » Devant plus de 10 000 spectateurs, il est happé par le tourbillon qu’il devait contourner. « Son corps sera retrouvé huit kilomètres en aval, quatre jours plus tard. »

Il est aussi question de Lord Byron, qui, en mai 1810, a traversé à la nage le détroit de l’Hellespont, reliant la mer Égée à celle de Marmara et la Méditerranée à la mer Noir : « À terre, c’est un petit dandy infirme et séduisant, dans l’eau, il se métamorphose en nageur puissant et endurant. […] Ivre de bonheur, […] il rédige quelques jours plus tard un poème à la gloire de l’Antiquité, de l’amour, de la nage, et bien sûr de son exploit. Texte qui inspirera tout au long du XIXe siècle poètes et peintres, dont Turner. Et donnera corps à sa légende : poète nageur, valeureux guerrier au pied bot. »

Lucas Menget raconte aussi avec humour comment il a participé au « Défi Monte-Cristo » (DMC) ; il s’agit de nager comme Edmond Dantès du château d’If à Marseille : « Soyons honnête : il ne s’agit pas de sortit d’un sac mortuaire alourdi d’une pierre, les pieds liés par une corde. […] Il s’agit de nager en hommage, pas dans l’imitation. »

Le chapitre consacré au peintre et photographe Jacques Henri Lartigue — véritable initiateur du « désir de la plage » — est un enchantement.

Ce livre autobiographique est un éloge de la nage et des sensations très variées qu’elle procure, notamment dans l’eau froide, ce qui donne lieu à des pages magnifiques. S’en priver peut provoquer une profonde « détresse psychologique », comme pendant le confinement, où les piscines fermées furent ouvertes exceptionnellement aux précieux détenteurs d’un certificat médical.

L’auteur consacre un chapitre à « The Swimmer », la nouvelle de John Cheever publiée en juillet 1964 dans le New Yorker. Le héros décide de rentrer chez lui « à la nage, par les piscines et les pelouses » de cette banlieue proche de New York, où se réalise le rêve de la classe moyenne américaine. Franck Perry en a tiré un film quatre ans plus tard. Au milieu du film a lieu une scène qui n’existe pas dans la nouvelle ; le héros, joué par Burt Lancaster, rencontre un enfant et ils descendent ensemble dans le bassin vide de la piscine, où il lui apprend les gestes de la brasse et du crawl :

« Qu’importe l’absence d’eau, ils nagent. […] Tout est triste, vain, angoissant. Burt Lancaster a les yeux fous. Il pose la main sur l’épaule de l’enfant esseulé. "N’oublie jamais, petit, quand tu nages, tu es le capitaine de ton âme." »

Ce petit livre pourrait bien devenir un vademecum pour l’été, et même après — occasion pour le lecteur de reprendre à son compte le serment que l’auteur se fit enfant à la piscine Keller :

« Je me fais des promesses pour la vie. Elle sera faite de voyages lointains, de piscines, de mers, d’horizons, de rencontres, de bars et d’amour. »