Dans ce récit d’un amour transgressif, l’auteure affirme sa liberté et redessine le rapport au temps qui se trouve à la source de son œuvre et de son art poétique.

Ce livre très court revient sur une « histoire » de la narratrice, commencée par « une nuit malhabile » avec un étudiant de trente ans de moins qu’elle, qui avait alors cinquante-quatre ans. Heureuse de retrouver dans cette relation, sur laquelle pèse le tabou de « l’inceste », la « fille scandaleuse » qu’elle a été, dans la honte, à dix-huit ans, l’auteure en analyse tous les aspects, aussi bien sociologiques que générationnels et linguistiques, mais surtout elle y fait l’épreuve du temps et de la mémoire, qui constituent la matière même de son œuvre-vie. La présence de ce jeune amant transforme la vie de l’écrivaine « en un étrange et continuel palimpseste ». Tout a déjà été vécu, dans les mêmes lieux, à Rouen, ce qui peut se lire comme un « signe » : « Son appartement donnait sur l’Hôtel-Dieu, désaffecté depuis un an. » C’est là, dans cet hôpital, qu’elle a passé six jours, quand elle était étudiante, « à cause d’une hémorragie due à un avortement clandestin ».

Le lecteur découvre dans ces pages aussi lucides que superbes ce qui déclencha l’écriture de L’Événement (2000), ce livre que son auteure « hésit[a] à entreprendre à cause de son ampleur ». Toute l’œuvre d’Annie Ernaux semble concentrée dans ces pages d’une grande efficacité et d’une vérité nue et parfois effrayante, qui associent le temps, l’écriture et la mémoire dans un précis de sensations, rendant l’écriture incroyablement vivante et présente, même quand « le présent [n’est plus] qu’un passé dupliqué ».

La phrase la plus importante du livre se trouve sans doute en exergue : « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. » L’écriture (que l’auteure pratique avec une maîtrise à couper le souffle) est alors une façon pour la vie de se réaliser pleinement, d’irradier par les mots dans la conscience des lecteurs et de s’inscrire dans une mémoire comme « vérité sensible » du temps.