En écho aux débordements médiatiques contemporains, Daniel Schneidermann rappelle la violence de la presse dans les années 1930.

La candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle a suscité plusieurs publications revenant en particulier sur sa conception de l’Histoire. Si l’historien Gérard Noiriel avait été précurseur avec Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République (La Découverte, 2019), trois autres titres tout aussi explicites visent à déconstruire et réfuter le récit national de l’ancien journaliste du Figaro : La falsification de l'Histoire. Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs (Grasset, 2022) du spécialiste du régime de Vichy Laurent Joly, Zemmour contre l’histoire (Gallimard, 2022) et Le grand détournement. Comment Zemmour falsifie l'histoire (Atlande, 2022), tous deux écrits par des collectifs d’historiens.

Le retour des années 1930 ?

La Guerre avant la guerre du journaliste et essayiste Daniel Schneidermann, connu notamment pour son émission « Arrêt sur images », partage le même point de départ : les « dérapages » de l’éditorialiste. Schneidermann s’en écarte néanmoins avec son point de comparaison, à savoir la période 1936-1939, pour s’intéresser au rôle de la presse de l’époque dans la préparation des esprits à la guerre. En cela, sa démarche se rapproche de celle du philosophe Michaël Foessel avec son Récidive. 1938 (Puf, 2019), une analyse fouillée de cette année charnière  dont il trouve de nombreux échos dans la situation actuelle.

Daniel Schneidermann s’est plongé dans la lecture des journaux de 1936 à 1939, années marquées entre autres par le Front Populaire, la Guerre d’Espagne et les accords de Munich. Il propose une comparaison de ces « discours de haine » avec nos temps présents, tout en reconnaissant bien sûr les limites d’une telle entreprise. Il accorde également une large place aux extraits d'archives des journaux de la période, toutes obédiences confondues.

La haine au quotidien

Le parcours dans le passé proposé par Schneidermann s’arrête sur les publications phares de l’époque, qu’il s’agisse des titres de l’extrême droite antisémite (L’Action française, Gringoire et Je suis partout), des journaux communistes (L’Humanité, Ce soir) ou encore de la presse s’affirmant impartiale comme le journal Paris-Soir de Pierre Lazareff, avec son slogan de « Balance égale ». L'auteur revient aussi en détail sur le traitement de certains événements de l’époque – de la Guerre d’Espagne aux dernières grèves du Front Populaire (« Hier comme aujourd’hui, quand la lutte des classes pointe le bout du nez, l’extrême droite rentre spontanément au bercail de la bourgeoisie. »), en passant par les accords de Munich – et le rôle joué par les médias. Ainsi, lors de l’affaire Salengro, le ministre de l'Intérieur du gouvernement de Léon Blum est poussé au suicide à la suite d’une violente campagne de presse menée par l'extrême droite, manipulant son passé militaire.

Prenant l’exemple de Paris-Soir et de sa couverture de la Guerre d’Espagne, Schneidermann bat en brèche l’idée d’un journalisme neutre et sans parti-pris : « Rien n’est neutre, tout est choix intellectuel et politique, délibéré ou inconscient, même et surtout l’apparent non-choix. » Cette guerre est d’ailleurs omniprésente dans les médias de l’époque – « au centre des espoirs, des angoisses et des colères de ces trois ans ». Elle inspire au journaliste un triste parallèle – politique – cette fois-ci entre la division de la gauche espagnole (communistes, trotskistes, anarchistes et socialistes) et l’état de la gauche française actuelle. Et pourtant, comme contre le fascisme à cette époque, les enjeux susceptibles de l’unir ne manquent pas (montée des extrêmes, dérèglement climatique ou encore inégalités sociales).

Schneidermann termine sa réflexion sur un double portrait contre-intuitif de figures opposées : le journaliste et député de droite Henri de Kérillis, d’une grande lucidité face à la montée des totalitarismes est comparé avec l’écrivain Louis Aragon, compagnon de route du PCF et directeur du quotidien Ce Soir. Le poète suit aveuglement les consignes du Parti, même lorsqu’il s’agit de se féliciter du pacte germano-soviétique, aux funestes conséquences.

Le traitement par les médias français de certaines questions (telles que l’insécurité, le terrorisme islamiste ou encore l'immigration, les trois étant le plus souvent associées), à la fois dans la forme et dans la surexposition qu'ils confèrent à ces sujets au détriment de préoccupations plus réelles des Français, contribuerait, selon Schneidermann, à préparer les esprits à la « guerre civile », par exemple en cas de prise de pouvoir par l’extrême droite.

L’essai de Daniel Schneidermann n’est donc pas un livre d’historien mais celui d’un journaliste aguerri dans l’observation et le décryptage des médias, écrit avec une grande vivacité d’esprit et un certain sens de la formule. Un utile rappel que ceux qui ignorent l’Histoire se condamnent à la revivre ? En attendant, c’est une guerre bien réelle qui semble avoir rattrapé Éric Zemmour, celle que livre la Russie à l’Ukraine. Cette dernière a contribué à ralentir sa campagne en rappelant son admiration pour Vladimir Poutine.