Connues ou inconnues, comment les Françaises ont-elles vécu entre 1939 et 1945 ?

Dans Les Françaises dans la guerre et l'Occupation, Michèle Cointet s'attache à étudier la vie des femmes durant la Seconde Guerre mondiale en France. Spécialiste de Vichy, elle brosse le portrait de femmes célèbres ou inconnues, collaborationnistes ou résistantes. Elle fait ici une histoire sociale de la guerre et de l'Occupation en France, mais au féminin. Dans la lignée des travaux de Robert Paxton ou d’Henry Rousso, elle montre la complexité de la société française durant cette période troublée. Toutes les catégories sociales, du peuple aux élites, sont scrutées par Michèle Cointet.

Les Françaises dans la guerre et l'Occupation ne se cantonne pas au cadre géographique de l'hexagone puisque la question délicate de la déportation des femmes est évoquée dans les derniers chapitres de l'ouvrage, avec une étude particulièrement éclairante du camp de Ravensbrück, spécifiquement réservé aux femmes. La Libération est aussi évoquée en fin d'ouvrage, dans un seul chapitre, qui pose clairement la question de la place des femmes dans la société française de 1944 et celle de l'obtention de leurs droits politiques.

 

Collaborer au féminin

L'un des apports majeurs de l'ouvrage est l'étude de ces femmes qui ont fait le choix de la collaboration. Plus que le cas des résistantes, que nous verrons plus loin, qui a déjà été mis en lumière par l'historiographie, le cas des femmes qui ont choisi l'ennemi est le point d'entrée de l'ouvrage. Michèle Cointet pratique une histoire descendante en s'intéressant en premier lieu aux femmes qui fréquentent les cercles de pouvoir, à l'image de la Maréchale ou de Mme Laval. Femmes de l'ombre, Cointet montre néanmoins que leur figure est utilisée et mise en avant par la propagande vichyste, comme des sortes d'égéries de la figure féminine de cette France nouvelle que veulent bâtir le Maréchal Pétain et toute la clique collaborationniste dans le programme de Révolution Nationale qu'ils mettent en place.

La femme occupe en effet un rôle central dans cette France que les autorités de Vichy veulent rebâtir : celle de la figure traditionnelle de la mère et de l'épouse, dévouée à son mari et ses enfants, celle qui est mise en valeur par la création de la fête des mères en 1941 sous l'égide de Pétain. Le slogan de Vichy, « Travail, Famille, Patrie », qui résonne en écho négatif de celui du Front Populaire, donnait en effet aux femmes un rôle majeur, au foyer, dans la droite lignée de ce qu'Hitler avait fait en Allemagne avec le « Kinder, Kirsche, Küche » (enfants, Église, cuisine), assigné aux femmes allemandes sous la société nazie.

Michèle Cointet s'intéresse aussi aux femmes du peuple, en se posant la question du pourquoi de la collaboration. La partie intitulée « Des collaboratrices intéressées » montre bien comment des femmes se sont tournées vers l'ennemi par intérêt, ce qui est le cas de nombreuses « courtisanes » qui fréquentent les nazis dans les milieux parisiens. Cointet indique aussi que certaines femmes l'ont fait par amour réel et non intéressé d'un soldat allemand, ce qui démontre que les cas de collaborations sont bien plus complexes qu'il n'y paraît. Mise en regard avec la figure de la résistante, celle de la femme qui trahi son pays en dénonçant des résistants est aussi étudiée. Des cas précis sont évoqués, ce qui est ici plutôt rare dans l'historiographie récente, qui met davantage en avant les femmes de la résistance, à l'image du livre que vient de publier Annette Wieviorka.

 

Femmes dans la résistance

Michèle Cointet présente ensuite le cas des femmes qui ont choisi la résistance. Elle commence ici aussi par le haut, en introduisant les cas d'Yvonne De Gaulle et d'Elisabeth de Miribel, figures de la résistance de la première heure. Dans ces chapitres sur les femmes en résistance, on voit bien le rôle majeur joué par celles-ci au sein des différents mouvements et réseaux, y compris jusqu'au leadership de certaines, comme Berty ou Marie-Madeleine Fourcade.

Mais ce que montre parfaitement Michèle Cointet, c'est le rôle majeur des femmes dans les organisations, ce qu'elle a nommé les « petites mains de la Résistance ». Elle souligne ainsi leur capacité à faire fonctionner les réseaux en tant que secrétaires ou agents de liaison. Elle traite aussi de la fonction essentielle des femmes dans la presse clandestine, très active durant la Seconde Guerre mondiale. Elle rappelle un aspect souvent oublié, celui joué par l'aide que donnent souvent les civils aux résistants, pour les ravitailler ou les cacher, fonction essentielle pour la survie des maquis dans le monde rural et des réseaux dans le monde urbain. Cette fonction de solidarité active est en grande partie jouée par des femmes, du fait de l'absence de nombreux hommes réquisitionnés, prisonniers ou membres eux-mêmes de la Résistance. Michèle Cointet dresse donc un tableau genré et relativement complet des femmes en résistance.

 

Les femmes dans la déportation

L'analyse de la déportation féminine est l'une des spécificités du travail de Michèle Cointet. En effet, elle étudie les différents types de femmes déportées, que ce soit celles sur critères « raciaux » (c'est-à-dire essentiellement les Juives en France) ou les déportées pour action de résistance. Ensuite, elle brosse l'étude du camp de Ravensbrück, camp de femmes. Sa première partie sur le camp, méthodologique, est stimulante car elle permet de voir comment l'historien aborde l'étude de la vie dans un camp de concentration en démontrant les spécificités de ce camp de femmes. Toujours sur le plan méthodologique, Michèle Cointet se pose la question de savoir s'il existe une spécificité féminine à la déportation. Ce questionnement, dans la lignée des « gender studies », permet de comprendre le raisonnement des nazis sur ce sujet, où ces derniers ont choisi de séparer hommes et femmes pour des questions de bonne gestion des effectifs, y compris de celui des gardiennes dans le cadre du camp de Ravensbrück.

 

Dans Les Françaises dans la guerre et l'occupation, Michèle Cointet brosse un portrait tout en nuance des femmes pendant le conflit. Elle montre bien les caractéristiques et les raisons qui poussent les unes à collaborer, les autres à résister. Elle n'évoque pas l'immense majorité silencieuse de celles qui sont dans un horizon d'attente. Il s'agit ici d'un implicite car, à la lecture de l'ouvrage, on se rend compte que le propos de Michèle Cointet est d'insister sur les caractéristiques des femmes « en marge », celles de la Résistance et de la Collaboration. Toutes celles qui ne se sont pas engagées dans la Résistance ou qui ont choisi la collaboration, c'est-à-dire l'immense majorité des Françaises, sont, par définition, silencieuses, donc plus difficiles à appréhender. Mais le but de Michèle Cointet n'est pas ici d'être exhaustive. Il s'agit plutôt de présenter les aspects de la vie des femmes, en s'appuyant sur des exemples parfois célèbres et souvent méconnus. Les Françaises dans la guerre et l'Occupation est donc une très bonne introduction pour celui qui veut s'informer sur la vie des femmes pendant le second conflit mondial. Gageons que cet ouvrage donne ensuite envie aux lecteurs d'approfondir la question avec des écrits plus spécifiques.

Le seul regret reste la question de l'épuration féminine en 1944, peu évoquée dans l'ouvrage. La question épineuse des tontes en 1944 aurait sans doute mérité ici un développement plus conséquent, mais il est vrai qu'un ouvrage récent, de Fabrice Virgili et François Rouquet, sorti quelques mois auparavant, offre un éclairage sur le sujet. Les Françaises dans la guerre et l'Occupation reste un ouvrage important sur l'histoire des femmes pendant la Seconde Guerre mondiale en France.