A la découverte d'un Jules Romains obscur, et méconnu : un Jules Romains créateur de personnages de mauvaise volonté.

Jules Romains (1885-1972) est connu comme un écrivain « de bonne volonté », raisonnable et rationaliste. Il existe, toutefois, un Jules Romains obscur, et méconnu : un Jules Romains créateur de personnages de mauvaise volonté – de criminels, même ; un Jules Romains qui n’hésite pas à parsemer son œuvre de longs chapitres érotiques ; un Jules Romains, enfin, surtout, fasciné par tout ce qui relève du parapsychique et de l’extraordinaire.

Mais d’où vient cet attrait pour l’anormal et le paranormal ? C’est en replaçant la production de Romains dans le contexte d’une époque confrontée à la mort de Dieu et meurtrie par deux Guerres mondiales que l’on peut expliquer le glissement qui s’opère, de La Vie unanime (1908) aux œuvres de l’après-guerre, d’un unanimisme optimiste et humaniste à un fantastique qui, s’il se révèle scientifiquement et politiquement militant, n’en est pas moins désespéré.

Car c’est sur les ruines de l’unanimisme – cette vision du monde fondée sur une foi profonde en l’union des âmes par-delà les frontières psychiques individuelles – que s’élève l’œuvre précaire du fantastique romainsien. Jules Romains sait qu’il n’est pas parvenu à fonder l’humanisme moderne auquel il rêvait. Toutefois, le fantastique lui est un moyen de ne pas renoncer tout à fait à l’unanimisme. En effet, il persiste à combattre, sinon pour l’homme, du moins pour les humanistes et les hommes de bonne volonté : auxiliaire d’une fidélité sans espoir ni illusions, son fantastique, sans être en aucune façon ennemi de l’avenir, est d’arrière-garde. Ce qui invite à repenser le fantastique dans son ensemble, qui trop souvent a été considéré comme incompatible avec quelque forme d’engagement que ce soit : le fantastique tel que le pratique Romains est de fait un fantastique en situation, un fantastique engagé – même s’il est une voie vers le désengagement, une ligne de fuite, une invitation à se mettre à l’abri de l’absurdité du monde dit « réel » en se retirant dans une sorte de monde « parallèle », chimérique ou fictionnel peut-être, mais aussi idéal à sa façon.

 

Docteur en littératures française, générale et comparée, titulaire du Diplôme Supérieur de Concertiste (piano) de l’École Normale de Musique de Paris, lauréat du Prix de thèse 2017 des universités d’Alsace et récipiendaire du Prix 2017 de la Fondation Catherine Gide et de la Fondation des Treilles, Augustin Voegele est actuellement Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université de Lorraine après avoir occupé les mêmes fonctions à l’Université d’Aix-Marseille. Il est notamment l’auteur d’un essai intitulé Morales de la fiction (2016) et d’une cinquantaine d’articles, parus ou à paraître.