Loin d'être une invention du XXe siècle, les Avengers, ou super équipes réunissant des héros connus, existaient déjà au Moyen Âge.

Le dernier volet de la série « Avengers » vient de sortir (il s'annonce déjà, quelle surprise, comme un énorme succès). Le principe des Avengers est de réunir dans un même film (ou un même comic, à la base) des héros venus d'univers narratifs différents, comme le fait DC avec la Ligue de Justice ou Suicide Squad ou comme l'avait fait Alan Moore avec la Ligue des gentlemen extraordinaires. Or ces équipes super-héroïques n'ont rien de nouveau. La preuve au XIVe siècle !

 

Mélanger les légendes

Dès l'Antiquité, les auteurs aiment mélanger les héros : ainsi du mythe des Argonautes, dans lequel des figures mythiques normalement distinctes – Thésée, Jason, Hercule, Castor et Pollux, etc. – sont réunies autour d'une même quête. Le Moyen Âge connaît lui aussi ses équipes de héros. On a Charlemagne et ses douze pairs. On a, évidemment, Arthur et ses chevaliers de la Table ronde. Exactement comme dans l'univers Marvel, les auteurs de romans arthuriens savent construire un univers en expansion, capable d'absorber des héros à l'origine indépendants. A partir de 1200, Tristan (celui de « Tristan et Iseut ») devient par exemple un chevalier arthurien. Une façon habile de réunir deux légendes originellement distinctes, pour plaire au public et accroître la cohérence narrative d'un univers. C'est exactement la même chose quand on voit soudainement Spiderman débarquer dans Captain America 3.

Les auteurs médiévaux vont encore plus loin et inventent une véritable équipe super-héroïque, qui n'a rien à envier aux Vengeurs. En 1312, Jacques de Longuyon écrit un texte appelé Les vœux du paon. Le héros est un jeune chevalier qui veut prouver sa valeur. Il convoque alors les neuf plus grands combattants de l'histoire.

 

La Ligue de Justice médiévale

Font partie de cette équipe prestigieuse : trois héros antiques, Hector, Alexandre et César ; trois héros bibliques, Josué, Judas Maccabée et David ; trois héros chrétiens, le roi Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon. On les appelle les Neuf Preux. Le modèle va connaître un succès immense, pendant plusieurs siècles. Comme pour les Avengers, intégrer cette équipe devient la distinction suprême : quand on veut faire l'éloge de quelqu'un, par exemple de Du Guesclin, on dit qu'il est le « dixième preux ».

Ces neuf héros recoupent toutes les sources de la culture médiévale. La fascination pour l'Antiquité gréco-romaine, d'abord, qui rappelle qu'on n'a pas besoin d'attendre une hypothétique « Renaissance » : Alexandre est célèbre depuis le Roman d'Alexandre, qui raconte ses conquêtes et ses exploits (notamment sous-marins). César n'a jamais véritablement cessé d'être une référence. Hector l'est redevenu au XIe siècle, avec le Roman de Troie. Rappelons que les Francs prétendent descendre des Troyens qui se sont enfuis de la ville lors de sa chute (comme les Romains avec Enée) : ils s'approprient donc les figures troyennes, et ont une vision plus critique des héros grecs comme Achille ou Ulysse.

Ensuite, trois héros bibliques : le roi David, vainqueur du géant Goliath ; Judas Maccabée est le leader de la révolte des Maccabées, et le héros d'un texte rédigé au milieu du XIIIe siècle ; Josué, enfin, est le modèle du guerrier remportant la victoire avec l'aide de Dieu.

Les trois héros chrétiens sont plus récents. Arthur, évidemment, est une super-star, le Captain America de l'époque. Charlemagne est une figure historique attestée, mais est également un personnage légendaire, à travers par exemple la Chanson de Roland. Enfin, Godefroy de Bouillon, croisé et premier souverain du royaume de Jérusalem, a lui aussi eu droit à son roman (le cycle du Chevalier au Cygne).

 

Les héros, révélateurs d'une société

Les points communs entre ces héros sont évidents. Tous ont leur ou leurs textes, et sont donc bien connus du public cultivé de l'époque. Ce sont tous des guerriers, des conquérants, des souverains, auxquels les aristocrates du temps peuvent donc s'identifier. Leurs exploits se déroulent quasiment exclusivement sur le champ de bataille : il n'y a pas de scientifique, d'artiste, d'inventeur. On n'en est pas encore aux prouesses technologiques de Tony Stark ou à la ruse d'Ant-Man : à l'époque, l'héroïsme est guerrier.

Ce que ces héros ne sont pas est tout aussi révélateur. Le dernier Avengers donne la part belle aux femmes : la Sorcière rouge, Okoye, la Veuve noire et bien sûr la toute-puissante Captain Marvel. Totalement impensable au Moyen Âge ? Eh bien non, car vers 1370 un auteur français (Jehan Le Fèvre) propose Neuf Preuses, rassemblant plusieurs figures héroïques féminines, comme l'Amazone Sémiramis ou la reine légendaire Tomyris, adversaire du perse Cyrus... Un modèle qui connaît lui aussi un beau succès public et artistique, même s'il ne rivalise pas avec celui des Preux.

 

Des Argonautes aux Avengers, on a toujours aimé croiser les héros, les rassembler dans une même troupe, comme pour multiplier l'héroïsme en le concentrant dans une seule équipe. Reste la grande question qu'à ce stade, évidemment, tout le monde se pose. Entre Hercule, Arthur et Captain America, qui gagnerait ?

 

Pour en savoir plus :

- Jacqueline Cerquiglini-Toulet, « Fama et les preux : nom et renom à la fin du Moyen Âge », Médiévales, n° 24, 1993, p. 35-44 ;

- Ead., « Les neuf Preux », Bien dire et bien aprandre, n° 31, 2016.

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge.