Le catalogue de l'exposition en trois actes retraçant la vie de Marie-Antoinette, avec une scénographie d'opéra signée Robert Carsen.

Pour raconter la vie de Marie-Antoinette, l’exposition déroule le fil d’une tragédie en trois actes dont la scénographie a été confiée à Robert Carsen. En homme d’opéra, il a aussitôt perçu la dimension théâtrale du synopsis élaboré par les commissaires. Le catalogue de l’exposition reprend ce dispositif.


L’éducation d’une princesse à la cour d’Autriche

Marie-Antoinette est née le 2 novembre 1755 à la cour de Vienne. Dernière fille de Marie-Thérèse d’Autriche, elle n’était pas destinée à régner. Les hasards de la politique européenne en décidèrent autrement. La petite archiduchesse épouse l’héritier de la couronne de France le 16 mai 1770. À Versailles la dauphine fut adulée. Elle apprit rapidement les règles de l’étiquette, étroitement conseillée par les lettres de sa mère et son entourage. Elle n’avait pas encore vingt ans quand elle monta sur le trône. Nouvelle reine, elle dut avant tout donner un héritier au royaume et apprendre à contrôler son image. Elisabeth Louise Vigée Le Brun livra en 1778 le premier portrait de la souveraine donnant entière satisfaction. La naissance tant espérée n’eut lieu qu’en 1781.


La reine de France, première mécène du royaume

Jeune et belle, Marie-Antoinette n’entendit pas s’effacer mais au contraire manifesta une certaine indépendance à l’égard du système de cour. Puisque la politique lui fut longtemps interdite, c’est dans le domaine des arts qu’elle sut régner. Avec l’aide et le soutien de l’administration royale, et sous l’influence de ce qui se faisait à Paris, elle s’attacha à créer des intérieurs raffinés où elle témoigna de son attrait pour l’Orient (cher à sa mère) et de son goût pour la modernité. Du Petit Trianon, dont elle reçut la jouissance peu après l’accession au trône de Louis XVI, elle fit un lieu des idées nouvelles. Non seulement Marie-Antoinette y manifesta son amour de la nature, mais elle s’y mit en scène, au sens propre comme au sens figuré, suivant ses propres règles, qui ne voulaient pas suivre l’étiquette de la cour. Lieu de la mode, lieu des fêtes et du théâtre, lieu des amis, comme la comte de Vaudreuil ou la duchesse de Polignac, Trianon permit à la souveraine d’être femme. En première mécène du royaume, elle aida au développement d’un style que l’on associe aujourd’hui à son nom.


Une reine décriée au destin tragique

Mais elle ne put conserver cette autonomie à l’égard de la cour. Rapidement perçu par l’opinion publique comme le lieu des dépenses effrénées et des débauches, le Petit Trianon devint le "Petit Vienne" et le cercle de la reine fut perçu comme une assemblée d’oisifs et de profiteurs aux mœurs dissolues. En but à la calomnie, Marie-Antoinette dut affronter l’affaire du collier et tenta, avec l’appui de son administration, de répondre à la critique en diffusant de nouvelles images où elle se voulait avant tout une mère. Peine perdue : dans les esprits, elle était devenue Madame Déficit et un agent à la solde de l’Autriche. Les pamphlets et les estampes satiriques se déchaînèrent contre elle. Après le départ de Versailles pour Paris en octobre 1789, le couple royal ne parut pas comprendre le sens des événements. Peu enclin à modifier son rythme de vie, ballotté au gré des intérêts politiques, maladroit dans certaines tentatives de conciliation ou de fuite (voir la commande de la fameuse berline qui sera arrêtée à Varennes le 21 juin 1791), il cristallisa les haines. Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793. Marie-Antoinette le suivra sur l’échafaud le 16 octobre. L’ultime document de l’exposition est le croquis de David, pris sur le vif, qui représente la reine juste avant son exécution.


Une somme très bien illustrée à la gloire de Marie-Antoinette

Le catalogue est très riche et les reproductions de plus des 300 œuvres rassemblées pour l’exposition sont magnifiques : des tableaux, des sculptures (Lemoyne, Boizot et Lecomte) et des objets d’arts (Carlin, Riesener, Weisweiler), mais aussi des documents écrits, comme le contrat de mariage ou les pamphlets contre "l’Autrichienne". On appréciera tout particulièrement la collection de laques japonais ou les services de vaisselle de la manufacture de Sèvres. On trouve également un portrait de Mme Campa, femme de chambre de Marie-Antoinette, dont les Mémoires constituent un document irremplaçable sur l’histoire de ce règne. Parmi de très nombreux objets d’art, on retiendra le "secrétaire à cylindre" et la "table en auge" de Jean Henri Riesener qui proviennent du boudoir de Marie-Antoinette au château de Fontainebleau et constituent de magnifiques exemples du goût très délicat de la souveraine : "La décoration utilisant de la nacre découpée en losanges enserrés dans un réseau de laiton ainsi que l’emploi de bronzes dorés se détachant sur des plaques en bronze argenté font de ces deux meubles des objets uniques dans le mobilier français. […]" Si ces meubles ont été décorés de manière à s’intégrer dans le boudoir, ils répondent aussi au goût de Marie-Antoinette. En effet, le secrétaire reprend la forme de celui livré par Riesener en décembre 1784, pour l’appartement de la reine aux Tuileries.

Dans une lettre du 18 octobre 1774, Marie-Antoinette confessait à sa mère : "C’est bien à moi de me désoler de n’avoir pu encore trouver un peintre qui attrape ma ressemblance ; si j’en trouvais un, je lui donnerais tout le temps qu’il voudrait, et quand même il ne pourrait en faire qu’une mauvaise copie, j’aurais un grand plaisir de la consacrer à ma chère maman." Un mois plus tard, elle ajoute : "Les peintres me tuent et désespèrent ; j’ai retardé le courrier pour laisser finir mon portrait ; on vient de me l’apporter : il est si peu ressemblant que je ne puis l’envoyer. J’espère en avoir un bon pour le mois prochain." Or la reine connaît l’importance de la gestion de son image et de sa diffusion, pour asseoir sa position de souveraine. Loin d’abandonner l’idée de satisfaire Marie-Thérèse, Marie-Antoinette cherchait toujours le peintre qui serait en mesure de la peindre avec ressemblance tout en soulignant sa condition de souveraine. De manière quelque peu surprenante, mais qui témoignait peut-être d’une certaine volonté d’autonomie dans les choix qui la concernaient directement, la reine ne fit pas appel à un artiste de l’Académie pour peindre cette image officielle. Il faudra attendre février 1779 pour que la reine et sa mère obtiennent satisfaction. Après Duplessis, Drouais, Gautier-Dagoty, c’est finalement Elisabeth Louise Vigée Lebrun qui donne entière satisfaction. Du bout de son pinceau, elle sut respecter toutes les conventions du portrait officiel, mais elle réussit aussi à ne rien perdre de la ressemblance tout en adoucissant les traits Habsbourg du visage. Marie-Antoinette avait enfin trouvé sa portraitiste. Une estime réciproque mêlée d’admiration présida à leur relation. Le peintre multiplia les portraits, toujours à la plus grande satisfaction de son royal modèle. "Marie-Antoinette en grand habit de cour" est le tableau choisi pour la couverture de ce catalogue.

Dans un chapitre intitulé "Répondre à la critique par l’image" qui suit celui consacré à "l’affaire du Collier", Xavier Salmon insiste sur ce contrôle d’une stratégie des images de la reine et de leur diffusion : "Aux heures critiques de la calomnie puis de l’affaire du Collier, ce fut à nouveau l’image de Marie-Antoinette que les autorités souhaitèrent mettre en avant en usant du Salon comme lieu de diffusion du message. Face aux attaques répétées, il ne fut plus question de seulement glorifier la reine, mais de présenter la mère. D’où le portrait de Wermüller en 1785 et celui de Mme Vigée Lebrun en 1787, qui sont des odes aux vertus maternelles, mais qui ne réussirent pas à s’imposer contre l’image de "Madame Déficit". "Marie-Antoinette est ses enfants" de Mme Vigée Lebrun est une toile monumentale qui représente la souveraine, dans son intérieur, avec ses enfants, afin de témoigner de la pérennité de la Couronne et d’illustrer l’idéal de vertu domestique.

Ce catalogue, très impressionnant par la qualité de ses illustrations et de ses commentaires ou explications, est le meilleur achat que l’on puisse faire parmi les nombreux produits dérivés vendus à la fin d’une exposition passionnante et très bien organisée, dans une perspective hagiographique qui rend bien compte de l’air du temps et de la récente réhabilitation de Marie-Antoinette, dont cette manifestation artistique constitue le sommet.


> Exposition au Grand Palais jusqu'au 30 juin 2008.


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crédit photo : nglacrosse23/flickr.com