La pollution urbaine prend des proportions alarmantes. Les médiévaux, à leur échelle, s'en inquiétaient déjà.

On parle beaucoup, presque en permanence, de la pollution urbaine et des dangers qu'elle fait peser sur la santé des habitants. Dans nos esprits, la pollution est un fléau typiquement contemporain, un produit de la révolution industrielle, du smog londonien aux particules fines. Mais le problème se pose depuis bien plus longtemps. Aux XIIe-XIIIe siècles, Acre est la plus grande ville du royaume latin de Jérusalem. Grand port, elle se trouve au débouché d'itinéraires commerciaux majeurs qui relient l'Orient et l'Occident – c'est en réalité l'une des terminaisons de la Route de la Soie. Dans ses rues se pressent des milliers d'habitants, mais aussi des marchands, des pèlerins, des Templiers... Cette affluence démographique se traduit par des conséquences environnementales bien soulignées par les sources : Acre est une ville polluée.

 

Acre, une ville pleine

En 1185, le pèlerin grec Jean Phocas décrit Acre comme « une ville qui surpasse toutes les autres, car elle reçoit tous les navires marchands et tous les pèlerins chrétiens ». La croissance démographique de la ville se mesure bien : au nord des remparts se développe un faubourg, Montmusard, que les rois vont à leur tour faire entourer d'une muraille vers 1210. Dans les chartes, on voit les différents espaces verts de la ville être peu à peu grignotés par les constructions : en 1273, le roi lui-même doit vendre les jardins du palais royal.

De plus, les gens ne font pas que vivre en ville, ils y travaillent, ce qui génère un ensemble de pollutions urbaines. On connaît ainsi l'emplacement de plusieurs raffineries de sucre, de fabriques de verre, de savon ou encore d'une rue des tanneurs : autant d'activités très polluantes, qui ajoutent des fumées nauséabondes et des déchets plus ou moins toxiques. Au niveau de la pollution sonore, ce n'est pas mieux, entre les grands marchés, l'arsenal où l'on répare les bateaux et les nombreux ateliers de forgerons.

 

Acre, une ville qui pue

Jean Phocas insiste sur le fait que l'air de la ville est « corrompu », ce qui provoque de nombreuses maladies. Cette corruption se mesure par l'odeur : « la ville pue ». Ibn Jubayr, un célèbre voyageur musulman, fait la même remarque : « la ville pue, elle est sale, elle est pleine d'ordures et d'excréments ».

Il faut dire que, notamment au niveau de la gestion des déchets urbains, l'Occident médiéval n'est guère au point. À Acre, les Latins ont la chance de récupérer un système d'égouts relativement bien développé, mais celui-ci ne dessert que la Vieille Ville et pas les nouveaux quartiers. L'été, avec les fortes chaleurs, quand affluent des milliers de pèlerins débarqués chaque jour d'Occident, l'odeur devait être à peu près insoutenable.

En effet, toutes les ordures sont rejetées dans le port. Quand on dit toutes, c'est toutes : non seulement les latrines, mais également les déchets de l'abattoir royal et du marché au poisson, tous les deux construits tout près du port. Ce port est tellement pollué que les sources lui donnent le nom de « Lordemer », c’est-à-dire « la mer de l'ordure » ou encore « la mer qui pue ».

Et cette pollution a des conséquences concrètes, qui se décèlent dans les chartes : en 1261, Venise, qui possède un quartier d'Acre, décide de faire fermer les grandes fenêtres de l'église de Saint-Démétrius, « pour éviter que le vent ne projette de la saleté sur l'autel ». En effet, l'église est tout proche du port : on imagine le degré de saleté de celui-ci s'il suffit que le vent souffle pour que l'intérieur de l'église s'en trouve sali...

Le cas est emblématique de l'attitude qu'on peut avoir face à la pollution : fermer ses fenêtres, autrement dit s'enfermer chez soi, en tâchant d'oublier que la situation ne va pas mieux – et tant pis si, ce faisant, on perd un peu de lumière... Bref, se boucher le nez plutôt que de se salir les mains en nettoyant. Mieux vaut se retrousser les manches, et tâcher d'inventer des futurs moins pollués.

 

Pour aller plus loin :

- David Jacoby, « Aspects of Everyday Life in Frankish Acre », Crusades, 2005, n° 4, p. 73-106.

- David Jacoby, « Three Notes on Crusader Acre (Lordemer and Ecology) », Zeitschrift des Deutschen Palästina-Veriens, 1993, n° 109, p. 83-96.

- Jean-Pierre Leguay, La Pollution au Moyen Âge dans le royaume de France et les grands fiefs, Paris, Gisserot, 2007.

- Et une super émission de la webradio Temporium, avec deux plumes d’Actuel Moyen Âge, sur l’écologie durant la période médiévale.

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge.