Autour de l’historien Zeev Sternhell, un ensemble de spécialistes revient sur l’existence d’un fascisme à la française pendant l’entre-deux-guerres.
La question du fascisme en France avant la Deuxième Guerre mondiale fait partie de ces polémiques dont les historiens ont le secret. Elle continue à agiter la communauté des chercheurs plus de trente ans après les premiers livres et articles à son sujet. Pour mémoire, le débat a commencé avec le livre de Sternhell, Ni droite ni gauche, paru au Seuil en 1983. Serge Berstein lui répond notamment dans un article « La France des années 1930 allergique au fascisme » dans la revue Vingtième siècle .
L’histoire refoulée écrit sous la houlette de Zeev Sternhell est en quelque sorte une nouvelle réponse scientifique à deux ouvrages dirigés par Serge Berstein parus précédemment : Un fascisme français : la controverse et Le PSF : un parti de droite . Ces livres répondent eux-mêmes à l’ouvrage dirigé par Michel Dobry, Le mythe de l’allergie au fascisme , et aux différentes préfaces des rééditions des livres de Zeev Sternhell. Pour les connaisseurs de ses travaux, son dernier livre L’histoire refoulée comporte à la fois des aspects nouveaux et des continuités.
Un fascisme à la française ?
Dans le domaine de la continuité tout d’abord, l’historien israélien cherche à montrer qu’il y a bien eu un courant fasciste en France entre les deux guerres. Pour Sternhell et ses co-auteurs, le refus de qualifier le Colonel La Rocque, les Croix de feu et son parti le Parti social français (PSF) de fascistes relève du refoulement et du déni. Pour eux, le mouvement exprime une des formes de fascisme avant la Deuxième Guerre mondiale, la participation de La Rocque à la résistance n’obérant en rien son idéologie et l’organisation initiale. Les différents articles qui les analysent reprennent cet argument, expliquant que les détracteurs de Zeev Sternhell définissent de manière étriquée le fascisme et non comme un mouvement européen protéiforme.
L’apport et la nouveauté dans cette étape de la polémique proviennent des contributions de Zeev Sternhell. L’historien explique que le refus du fascisme français s’inscrit dans une forme de refoulement au sens clinique du terme. Il appuie sa démonstration sur les oublis et les non-dits de la société française vis-à-vis de la guerre et de la participation d’une partie des élites au régime de Vichy. Il cite le cas le plus abouti de cette réécriture de l’histoire avec, à quarante ans de distance, le professeur de Maurice Duverger commentant les arguments antisémites de Maurice Duverger en 1941.
Sternhell précise également, dans un deuxième article, sa définition du fascisme conçu comme un phénomène large, pouvant même englober des extrémistes de droite soucieux de se distinguer de l’autre frange de l’extrême droite, monarchiste quant à elle. Par ailleurs, il rappelle, lettres à l’appui, qu’il a été soutenu initialement par Michel Winock, alors son éditeur au Seuil, avant que ce dernier ne devienne un des ses plus virulents détracteurs.
Prolongements et confirmations
Une autre partie des articles est composée de travaux de politistes et d’historiens qui valident les hypothèses de Zeev Sternhell. Ainsi, Laurent Kestel analyse le positionnement concurrentiel du PSF et du Parti Populaire Français dirigé par Jacques Doriot montrant la compétition et la complémentarité des deux partis dans la sphère fascisante. De même, Didier Leschi, Kevin Passmore et Caroline Campbell dans leur contribution respectives soulignent que La Rocque se situe à la lisière du fascisme et de l’antisémitisme. Sans être totalement dedans, il n’est pas non plus extérieur à cette sphère, quand il n’est pas considéré par les étrangers comme partie intégrante de ce mouvement à l’échelle internationale.
Enfin, deux articles prolongent d’autres travaux de recherche comme la biographie de Michel Noblécourt sur La Roque, montrant que le PSF avec l’accord de son chef a entretenu et développé l’antisémitisme dans ces départements d’outre-mer, couvrant les violences antisémites. Enfin, Chris Millington montre également que les violences de rue dans les années 1920 et 1930, si elles n’ont pas atteint le degré de celles qu’a connu la société allemande, dépassent largement le degré de violence symbolique et simulée que lui attribuent les travaux des détracteurs de Sternhell.
Nul doute qu’un tel livre, s’il offre de nouvelles réponses, suscitera également de futurs travaux.