Deux publications récentes reviennent sur les mutations récentes du Front national : de l’abandon de l’antisémitisme au profit d’un discours anti-migrants à de nouvelles expériences municipales.

Deux ouvrages viennent poursuivre la liste déjà longue des livres sur l’extrême droite : La Main du diable de Jonathan Hayoun et Judith Cohen-Solal et Les Laboratoires de la haine d'Hacène Belmessous. Ils s’inscrivent dans un travail d’enquête journalistique, ce qui ne les empêche pas de cerner les continuités et le renouvellement partiel de la droite radicale.

 

La grande conversion : de l’antisémitisme au rejet de l’immigration

La mort du théoricien nationaliste Guillaume Faye, le 6 mars 2019, se télescope avec l’actualité que présente La Main du diable. Au tournant du XXIe siècle, Faye abandonne le discours antisémite pour passer à une dénonciation systématique et unique de l’immigration. Son influence est peut-être secondaire sur l’ensemble de l’extrême droite, mais le mouvement « les identitaires » s’en est largement inspiré ; les identitaires ayant eux-mêmes une influence sur le reste de l’extrême droite.

Cette conversion, qui s’est opérée pour des raisons stratégiques, est en œuvre depuis dizaine d’années. En remplaçant l’antisémitisme par une hostilité principalement tournée contre les migrations extra-européennes, cette conversion permettrait pour les stratèges de l’extrême droite de « briser le plafond de verre  », selon l’expression de Valérie Igounet.

Jonathan Hayoun et Judith Cohen-Solal proposent une enquête sur le temps court en analysant comment une partie de l’extrême droite a réussi à se débarrasser de l’image de la figure tutélaire de Le Pen père et de ses déclarations, qui lui ont valu plusieurs condamnations par la justice pour antisémitisme. Pour cela, les deux auteurs ont rencontré des responsables frontistes d’une part et plusieurs personnalités marquées par l’histoire juive d’autre part.

Ils rappellent les différentes déclarations de Jean-Marie Le Pen, le conflit avec sa fille et le nouveau positionnement du Front national [FN] devenu Rassemblement national [RN]. Afin de voir si la situation a changé, ils choisissent de braquer le projecteur sur les villes dirigées par le FN/RN. En dehors de l’inquiétude des communautés juives des différentes villes, rien n’est perceptible. En effet, les édiles et les responsables frontistes ont désigné un nouvel adversaire : l’immigrant.

Dans les différentes villes conquises par le FN/RN, ils affichent une neutralité vis-à-vis de la communauté juive, même si dans cette dernière la méfiance demeure. Ce sentiment n’est plus partagé par quelques intellectuels médiatiques d’origine juive qui considèrent que le ravalement auquel a procédé le FN/RN est réel. En revanche, la perception de la duplicité du discours frontiste reste prégnante, comme le souligne l’entretien avec Serge Klarsfeld. Selon lui, il s’agit pour le parti d’acquérir une respectabilité pour des raisons stratégiques et tactiques.

 

Le nouveau frontisme municipal

L’enquête de Hacène Belmessous s’inscrit dans une lignée de travaux sur le frontisme municipal. Depuis les études sur l’implantation à Dreux dans les années 1980 jusqu’à celles sur Toulon dans les années 2000, ou Hénin-Beaumont depuis peu. Il s’est rendu dans quelques villes frontistes : Beaucaire au Sud et Mantes-la-Ville au Nord.

La victoire dans la première ville est la conséquence d’une implantation importante du FN dans l’électorat local, alors que l’élection dans la seconde est due à la chance, l’édile bénéficiant d’une division entre les gauches. Les mairies sont considérées comme des laboratoires et des signes avant-coureurs d’un hypothétique exercice du pouvoir.

Le constat est analogue à ce qui s’était produit dans les autres villes durant les autres mandatures : réduction drastique des subventions des associations culturelles, menaces de licenciement sur un certain nombre d’employés municipaux, pressions sur les commerçants.

Son analyse se penche aussi sur les causes des succès politiques du FN/RN. Outre la prospérité du discours ethno-différencialiste, l’auteur voit dans les politiques publiques à l’échelle locale un terreau favorable au développement des idées nationalistes. A contrario, l’abandon des politiques publiques par l’État entraînerait une progression des votes pour le parti d’extrême droite.

 

La lecture de ces deux ouvrages vient souligner que le FN/RN est d’une part un parti stratège et que d’autre part il capte toute une partie du mécontentement social en articulant son discours « eux / nous » autour de la question nationale et sociale et plus seulement autour des frontières de classe.