Plongée dans la guerre d’Espagne dans une fiction aux allures du réel

Devenue au fil des ans un thème important de la bande dessinée, la guerre civile espagnole est souvent le résultat d’un travail de déconstruction de la part de la nouvelle génération d’auteurs espagnols. Ces derniers s’interrogent sur le passé de leur pays proposant des analyses originales avec des scénarios parfois inspirés de la réalité soit en partie fictionnels comme L’Art de voler et l’Aile Brisée de Antonio Altarriba et Kim, Au cœur du Rêve de Rubén Uceda ou l’adaptation par José Pablo Garcia de la Guerre civile espagnole de Paul Preston. L’ouvrage de Yann et Juillard est à la croisée de ces chemins entre fiction et réalité. Ils reprennent les faits inspirés par la guerre d’Espagne et les adaptent pour en faire une fiction.

Mise en perspective

Si le dessin peut sembler de facture traditionnelle, André Juillard reprend les codes qui ont fait son succès depuis les 7 vies de l’épervier et la bande dessinée historique, d’abord la reprise de la saga Black et Mortimer ensuite avec un dessin clair sobre et proche de la réalité. Cette lecture de l’histoire a une vocation pédagogique et en même temps permet de rendre intelligible des phénomènes qui peuvent sembler complexes aux non spécialistes du sujet. Le scénario permet en outre aborder des thèmes explorés par la recherche historique, mais peu développés dans la bande dessinée. Les auteurs montrent une guerre civile proche de son histoire, trame qui existait déjà pour partie dans les Phalanges de l’ordre noir de Pierre Christin et Enki Bilal ou dans No Pasaran de Vittorio Giardino.

Le récit commence à l’hiver 1936 dans Madrid assiégée et bombardée, des combattants de la république semblent initialement unis, subissent les bombardent de l’aviation franquiste et du détachement allemand de la légion « Condor », qui affrontent dans les airs les pilotes soviétiques. L’écrivain Ernst Hemingway assiste à la bataille aérienne qui sert de point de départ.

 

Violences et politique

Yann et Juillard montrent que les Soviétiques ont malgré tout monnayé leur aide en récupérant l’or d’Espagne. Ainsi, durant la guerre civile espagnole, les Soviétiques évacuent au total près de 650 tonnes d’or vers l’URSS, l’équivalent actuel de dix milliards d’euros, à bord de 4 cargos. Staline demande aux hommes du NKVD de l’escorter jusqu’à Odessa, puis le trésor est stocké dans les coffres soviétiques, d’où il ne ressort pas.

Outre des scènes saisissantes par leur réalisme, les auteurs présentent des cadres de la police politique soviétique inquiets de rentrer en URSS, de peur d’être assassiné par leurs homologues dans le cadre des purges. L’un d’entre eux, le tchékiste Lev Lazarevicth Feldbine dit Alexandre Orlov, est également représenté en train de fuir l’Espagne dans des conditions rocambolesques. Peu de temps auparavant, il avait mis en place le SIM (Service d’investigation militaire), la police politique espagnole équivalente au NKVD, qui sert d’instrument dans la répression contre le Parti ouvrier d’unification marxiste, les communistes antis staliniens et certains éléments de la CNT et de la FAI.

De même, le scénariste Yann montre l’omniprésence des communistes dans l’encadrement militaire et politique de la guerre civile, tel ce commissaire politique soviétique ressemblant furieusement à André Marty. Le mutin de la mer noire en 1937, devenu le principal commissaire politique des brigades internationales, qui en raison de son comportement et de ses pratiques a été appelé le boucher d’Albacete.

Dans le camp républicain, la violence est également évoquée à travers les exactions de Mariano Abad, le fossoyeur, qui évoque en filigrane celle de Pascual Fresquet et sa brigade de la mort qui sema la terreur dans Madrid entre 1936 et 1937, liquidant les opposants réels ou supposés. Même si, dans le même temps, les hommes comme Melchor Rodriguez Garcia empêchent les exactions dans le camp républicain vis-à-vis des prisonniers suspectés de sympathie pour le franquisme. Le scénario rappelle le point central, les journées de Mai de Barcelone, durant lesquelles les poumistes et les anarchistes sont pourchassés par les pro-communistes, puis la répression et les arrestations qui s’en sont suivies.

 

Des héros ordinaires

Mais pour les auteurs, il ne s’agit pas de représenter que la face noire de la République, comme l’a souligné Paul Preston dans sa magistrale étude sur la guerre civile : les principaux responsables de massacres et des crimes sont les putschistes. L’explication par le bombardement de Guernica présent dans la bande dessinée en est la preuve. C’est le coup d’État franquiste qui a entraîné ces drames en cascade et les modifications politiques qui s’en sont suivis. Ainsi à travers les figures des vrais héros de l’album est évoqué le combat aujourd’hui oublié des Mujeres libres, les femmes libres de la CNT – FAI. Ces militantes libertaires ont imposé à leurs camarades d’avoir une organisation spécifique pour porter les revendications féministes dans une organisation peu sensible à cette question. Elles ont combattu pendant les premiers mois de la guerre avant lors de la militarisation des milices de se voir obligées de quitter le Front. La mémoire collective garde d’elle le symbole de combattantes pour l’égalité.

Double 7 rend hommage aux combattants volontaires de, et pour la République espagnole. Que ce soit les aviateurs de l’escadrille Espagne, immortalisée par André Malraux dans son roman l’Espoir puis dans la Sierra de Turuel ou les aviateurs soviétiques, engagés plus ou moins volontaires au service de la république, sans oublier les quelques Mexicains qui se sont mis au service de la République. Derrière ces pilotes, il s’agit d’évoquer l’engagement des près de 60 000 combattants pour l’Espagne, qu’ils soient volontaires partis combattre dès le mois de juillet ou engagés dans les Brigades internationales. Ces combattants représentent les solidarités ordinaires de cette guerre.

 

Si l’ensemble sonne vrai, pour les besoins du récit les auteurs prennent quelques libertés avec la chronologie : le journaliste romancier Ernst Hewingway est présent sur les lieux du bombardement à Madrid en 1936 alors qu’il n’arrive en Espagne qu’en mars 1937. Orlov ne quitte le NKVD qu’en 1938, mais ces remarques importent peu aux lecteurs intéressés de prolonger par d’autres ouvrages