Clément Carbonnier et Nathalie Morel interrogent le bien fondé de tout ou partie des mesures fiscales qui visent à favoriser la création d'emplois de services à la personne

Clément Carbonnier et Nathalie Morel viennent de publier Le retour des domestiques   , qui évalue les mesures socio-fiscales en faveur des emplois de services à la personne. Ils ont accepté de répondre à plusieurs questions à l’occasion de la parution de cet ouvrage, parallèlement à la recension de celui-ci.

 

Nonfiction : Vous montrez que les avantages fiscaux et les allègements de cotisations sociales en faveur des emplois de services à la personne ont finalement très peu d’effet en termes de créations d’emplois. Pourriez-vous expliciter ce point pour nos lecteurs ?

Clément Carbonnier, Nathalie Morel : Diminuer le prix des services crée de l’emploi s’il existe des consommateurs potentiels mais non effectifs : le prix non diminué les fait renoncer à consommer mais un prix diminué suffit à les inciter à consommer. Or pour une grande majorité de ménages ces services restent trop coûteux même subventionnés. De fait, même si un petit nombre de ménages sont incités à consommer ces services du fait de la subvention fiscale, il faut également payer la dépense fiscale pour baisser le prix pour ceux qui consommeraient de toute façon, c’est l’effet d’aubaine. Pour les services à la personne, les effets d’aubaine sont relativement importants comparés au nombre de nouveaux consommateurs. De plus, plus on augmente les plafonds, moins on incite des augmentations de consommations – aucun consommateur consommant initialement sous le plafond ne peut être incité – alors que tous les consommateurs consommant initialement au-dessus du plafond bénéficient d’un effet d’aubaine. Le coût public par emploi créé de la mesure augmente donc au fur et à mesure qu’on augmente les plafonds.

 

Ces mesures ne créent que très peu d’emplois. En même temps, vous expliquez quelles sont en partie responsables du développement des emplois de mauvaise qualité dans notre pays. N’y a-t-il pas ici une contradiction ?

Il n’y a pas de contradiction. Le développement des services à la personne existe du fait de multiples facteurs. Parmi ces facteurs, on retrouve les politiques publiques (mais pas uniquement) qui se focalisent quasi exclusivement sur l’accélération de ce développement par la baisse du coût du travail. Nous mesurons l’inefficacité de ces politiques à effectivement accélérer ce développement – faible création d’emploi du fait des mesures fiscales – et pointons le fait qu’en agissant ainsi seulement sur la demande, ces politiques, au mieux laissent la qualité des emplois se détériorer, au pire contribuent à cette dégradation par des assouplissements des règles de protection du travail et la négation de l’utilité intrinsèque de ces services en martelant qu’ils ne valent pas le salaire minimum. Cette question du développement d’emplois précaires et peu rémunérateurs dépasse les services à la personne, mais nous pensons que ces services sont un exemple central de cette stratégie politique de l’emploi.

 

Vous rattachez ces mesures de politiques socio-fiscales à une partie invisible du régime de protection sociale. Pourriez-vous expliciter, là encore pour nos lecteurs, ce que vous entendez par là et les conclusions que vous en tirez ?

On parle de « pognon de dingue » quand il s’agit de faire de la dépense budgétaire en faveur des services sociaux publics tels que la prise en charge de la dépendance ou la garde d’enfant, alors que ces dépenses fiscales, qui prétendent et permettent au moins en partie de répondre à ces mêmes besoins sociaux – mais seulement pour les ménages les plus aisés – sont moins sur le devant de la scène et ne sont pas débattues sous l’angle du coût que cela représente pour les finances publiques.

 

Vous indiquez en conclusion qu’une partie de ces mesures de réduction d’impôt ou d’allégement de cotisations pourrait être réaffectée à des créations d’emplois publics dans les services sociaux dans les secteurs de la petite enfance et de l’aide aux personnes âgées. Quelle est la part de celles-ci qui pourrait être réallouée selon vous ?

Nous citons dans le livre une étude qui applique le raisonnement de coût d’opportunité des dépenses publiques à une gamme plus large de dépenses socio-fiscales visant à créer des emplois par la baisse du coût du travail – non seulement crédit d’impôt pour l’emploi à domicile, mais également allègements de cotisations sociales et CICE. Cette étude chiffre alors l’ensemble des dépenses qui pourraient être remplacées par du financement direct de services sociaux, c’est pourquoi le chiffre dépasse, mais contient, le cas des services à la personne. En prenant des hypothèses très favorables à la réduction/crédit d’impôt sur l’emploi à domicile, cette étude montre qu’au moins 30 % de ces dépenses fiscales (1 milliard sur les 3,5 milliards au moment de l’étude) sont concernées.