Un livre collectif monographique pour explorer l’œuvre filmique et critique du réalisateur du "Théâtre des Matières" et de "Loin de Manhattan".

La fortune critique du cinéma de Jean-Claude Biette (1942-2003) est proportionnelle à sa discrétion auprès du grand public (faute de diffusion de son œuvre cinématographique en DVD pour d’obscures raisons de droits), mais elle permet aux cinéphiles de profiter, au moins depuis la rétrospective à la Cinémathèque française en 2013, de multiples supports d’appréhension d’une œuvre encore trop confidentielle.

Poursuivant le travail entrepris par Pierre Léon (Jean-Claude Biette, le sens du paradoxe, Capricci, 2013) ou par la revue Trafic (« Jean-Claude Biette, l’évidence et le secret », n°85, 2013), le présent ouvrage prolonge le commentaire de l’œuvre de Biette par de nouvelles jonctions. Ces « j-onctions » (le texte d’ouverture entend « canoniser » JCB) sont abordées par différentes formes de passation. L’une d’elles consiste à observer les liens affectifs, esthétiques, professionnels et intellectuels entre Biette et d’autres grandes figures du cinéma d’auteur : Pasolini et Carmelo Bene (Joubert-Laurencin), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (Benoît Turquety), Jacques Tourneur (Pierre Jailloux) ou encore Eric Rohmer (Philippe Fauvel). Ce réseau est interrogé comme le sont – deuxième forme de passation – les réminiscences de la pensée critique de Biette dans des travaux universitaires (ceux, d’apparence forts éloignés, de Jean-Louis Leutrat, traités par Fabienne Costa) ou critiques (ceux, d’évidence plus proches, de Serge Daney, associé à son ami par la stimulante proposition de « méthéories » développée par Pierre Eugène).

Loin de se contenter de compiler des articles universitaires, le livre propose d’autres aspects qui le distinguent plus nettement des précédentes livraisons de 2013. Aux articles érudits (auxquels s’ajoute celui de Marcos Uzal) issus de communications présentées au cours de journées d’études organisées en 2013-2014, se mêlent ici des extraits de conversation ayant eu lieu dans ce cadre. Souvent écartés lors de l’édition, ces moments off se révèlent ici particulièrement instructifs et vivants. Ils font la part belle à la parole de Pierre Léon et Jean Narboni, intimes du cinéaste, intervenant tous deux avec autant d’érudition que d’intuitions évocatrices. Par ailleurs, la fin de l’ouvrage permet de visualiser le travail de l’écrivain/critique grâce au fac-similé des épreuves d’un article (« le jeu du bec »), introduites par Pierre Eugène. Enfin, le livre se conclut par la retranscription des scénarios rédigés en italien de deux courts métrages de jeunesse – Ecco Ho letto, 1966 et La Partenza, 1968 –, dont on peut regretter l’absence d’introduction (pourquoi ce choix ? que disent-ils de Biette ?) et de mise en perspective, les deux films n’étant – sauf erreur – jamais sollicités à d’autres endroits du texte.

Ces suspensions volontaires laissent voir à quel point l’ouvrage se veut davantage une ouverture qu’un point final. En effet, tout porte à croire, à la lecture de ses pages, que plusieurs chantiers attendent désormais d’être entrepris, à commencer par la consultation et l’exploitation du fonds Jean-Claude Biette de la Cinémathèque. Par ailleurs, les textes invitent, indirectement, à une relecture historique d’un cinéma d’auteur français des années 1980 qui échapperait au « cinéma du look » (selon le terme de Raphaël Bassan) en mettant en avant une production cinématographique plus dense masquée par le vernis de l’audio-visuel florissant.

Enfin, Jean-Claude Biette. Appunti & contrappunti, en faisant l’économie d’une recherche prenant en charge tous les aspects possibles de l’étude de l’œuvre, invite à une relecture plus globale, plus théorique de l’ensemble des écrits de Biette, ainsi qu’à leur contextualisation historique et médiatique (entre les différentes périodes aux Cahiers du cinéma, la naissance de Trafic, la notion de « cinéaste », ou de « cinéma filmé »). À cet égard, on pourra regretter l’absence de recension raisonnée des écrits de Biette (la bibliographie ne mentionne que ses trois livres publiés) et des textes critiques consacrés à son œuvre filmique en France, qui aurait pu être accompagné d’un élargissement à la fois théorique (comme l’article de Scott Foundas dans Film Comment « The Wave With No Name », 2011, qui inscrit Biette dans une généalogie de « Free Radicals » allant des films produits par Diagonale à ses héritiers) et géographique (les interventions en langues étrangères sur le cinéma de JCB, comme par exemple l’entretien de Pierre Léon publié dans la revue Undercurrent).

Hormis ces remarques sortant sans doute du cadre fixé par les directeurs et l’éditeur de l’ouvrage, on rappellera en conclusion à quel point ce volume collectif se révèle foisonnant, faisant le pari de l’hétérogénéité, de la fantaisie et, le plus souvent, de l’originalité dans les pistes qu’il parcourt et qu’il ouvre aux chercheurs de demain.