Tomás Saraceno, invité au Palais de Tokyo, a obtenu carte blanche pour présenter la suite de son travail sur l'air à l'ère de l'anthropocène.

A des fins esthétiques, scientifiques et politiques, à l'ère de l'anthropocène (la nouvelle époque de la planète transformée par l'homme des technologies), Tomás Saraceno a obtenu carte blanche du Palais de Tokyo pour présenter la suite de son travail sur l'air et le croisement des mondes humains, animaux et cosmiques. Son installation réanime un imaginaire poétique et politique autour de la perception et de respiration. « Nous vivons submergés au fond d'un océan d'air », dit-il dans un entretien au Magazine du Palais de Tokyo, et rien n'est imaginé pour sortir de la menace du réchauffement de la planète que fait peser sur nous la surproduction de dioxyde de carbone. Face à elle, l’exposition forme un ensemble destiné à révéler la force des entités qui peuplent l’air et la manière avec laquelle elles nous affectent : du dioxyde de carbone (CO2) à la poussière cosmique, des infrastructures et fréquences radio à de nouveaux couloirs de mobilité aériens. Ces histoires invisibles, qui composent la nature dont nous faisons partie, nous invitent à repenser notre manière d’habiter le monde – et à réévaluer notre manière d’être humain.

 

Qui est Tomás Saraceno ?

Tomás Saraceno est né en 1973 à Tucumán en Argentine. Il vit et travaille sur et au-delà de la planète Terre. Après avoir obtenu un master en architecture à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de la Nation Ernesto de la Carcova à Buenos Aires, il a poursuivi ses études en Europe, en étudiant les beaux-arts à la Städelschule de Francfort puis en suivant le master d’art et d’architecture de l’IUAV de Venise. Depuis, l’artiste vit et travaille à Berlin. En 2009, il a été montré à la 53ème Biennale de Venise.

 

Tomás Saraceno a présenté son travail pour la première fois au Palais de Tokyo en février 2015 dans l’exposition « Le Bord des Mondes », puis a proposé le séminaire Aerocene et le workshop « Museo Aerosolar », en écho à la COP21, en décembre 2015. On a retrouvé son œuvre Du sol au soleil d’octobre 2017 à janvier 2018 dans l’exposition « Voyage d’Hiver », hors les murs du Palais de Tokyo dans les jardins du château de Versailles.

 

Décloisonner les mondes

Au Palais de Tokyo, on entre dans son installation par un couloir qui vous conduit dans un espace noir où, pour tout guide, on suit des marques signalétiques blanches posées au sol. Le temps de s’habituer à l'obscurité environnante, on reste coi. Devant vous se succèdent plus d'une dizaine de toiles d'araignées légèrement éclairées. Leurs ouvrières, cachées dans les multiples fils repris ou abandonnés provisoirement, ne cessent pas de tisser. Le spectacle est dans la métamorphose de la réalité. Filant sa perception au gré de son imaginaire, le passager embarqué sur ce territoire voit des nuages, de fins filets, des nébuleuses… L'espace se fait poésie, habité par le son des vibrations de la toile au vent.

Sounding the Air, l’œuvre dans laquelle on se trouve, est un instrument de musique. Il se compose de cinq filaments de soie d’araignée qui flottent et résonnent dans l’air. Il n’est pas joué individuellement par un être humain mais par un ensemble de forces et de présences qui transforment l’espace et ses dynamiques : des mouvements invisibles provoqués par les changements de température, le flux et la respiration des visiteurs. En traduisant les vibrations en fréquences sonores, cette installation nous permet d’entendre la voix de l’air. On croise au cours de cette déambulation une araignée en plein effort, concentrée sur sa tâche, apparemment indifférente au public. Fausse apparence en effet, car ces araignées, sociales ou semi-sociales, travaillent devant nous et leur toile manifeste leur perception de cette rencontre ainsi que leur capacité à collaborer.

 

 

L'indiscipline

La circulation des visiteurs ouvre alors sur un nouvel espace, celui du seuil de la rencontre des perceptions. Les toiles des araignées manifestent une variation en fonction des groupes qui se déplacent autour d'elles. Le public collabore sans le vouloir à une expérimentation scientifique réalisée par l'Institut Max Planck, à propos des comportements perceptifs collectifs. L'esthétique n'est donc pas le seul but recherché.

En décloisonnant les mondes animaux, cosmiques et humains, l'idée qui guide le travail de Tomás Saraceno est de décloisonner aussi les disciplines afin de réfléchir sans discipline le monde dans lequel nous pourrons vivre. Biologistes, astrophysiciens, philosophes, musiciens, éthologues et sociologues sont parmi les figures qui entourent et inspirent le travail de Tomás Saraceno et enrichissent l’ensemble de l’exposition. L’artiste crée en permanence des ponts entre des manières de faire, de sentir, de percevoir, et reste avant tout fidèle à l’indiscipline.

 

L'atmosphère modifié irréversiblement.

En changeant d'espace, à la suite du monde des araignées, c'est la poussière noire qui maintenant fait œuvre. Éclairée elle se fait mouvement. L'artiste construit des moyens poétiques pour étendre nos capacités de perception, rendre plus ouverts nos esprits à ces poussières infimes : particules, poussières cosmiques, vies furtives qui bruissent dans l’infini. On est face au résultat d'une production humaine. Les énergies fossiles ont transformé les humains en une force géologique qui a modifié de manière irréversible l'atmosphère. L'air a toujours été invisible. Avec l'anthropocène, il est empli de poussières qui finissent par se sédimenter sur le sol mais aussi dans les poumons. De là a surgi le projet « aérocène », en réponse à l'anthropocène.

C'est un projet qui rassemble autour de lui divers scientifiques mais appartient aussi aux rêves de Tomás Saraceno. Quand vous méditez, vous respirez jusqu'à 16% d'oxygène en moins rajoute-t-il lors de son interview   et vous êtes encore plus éveillé que dans tout autre mode de présence.

 

 

Les mondes de ses rêves ne reposent pas sur la domination technologique des ressources naturelles. Au lieu de cela, le projet commence par s’adapter aux forces qui animent notre planète et à les déplacer, ce qui constitue davantage une soumission calculée et informée aux forces mondiales qu’une maîtrise de celles-ci.

 

Approprier à plutôt que s'approprier

L'artiste ne délivre aucun monde qui lui soit propre égoïstement et que son œuvre exprimerait. Il tente une mise en forme appropriée à ces forces non pas tant chaotiques, que générées par Gaïa étouffée par Ouranos. Forces qui se sédimentent. Forces titanesques de ces monstres que le mythe enferme afin de sauver la vie. Après les Titans, c'est le tour des hommes de jouer au feu à leurs dépens. La menace pèse et l'artiste en montre la vision. L'art n'est plus celui d'une subjectivité autosuffisante, voire suffisante. Croisant les diverses formes de vie, les comportements variés, l'art s'élève au-dessus du sol, à la recherche d'un nouveau cadre. Il s'approche une fois encore du soleil, comme Icare. Apprivoiser le soleil, non pas se l'approprier, mais trouver une forme d'habitat appropriée.

Tel est le rêve de l'artiste. Des bulles flottent dans un espace. Bulles poétiques qui attendent d'habiter le monde.

 

 

 

Carte Blanche à Tomas Saraceno. On Air

Du 17/10/2018 au 06/01/2019

Au Palais de Tokyo