La démission de Nicolas Hulot et l'appel des 200 attirent l'attention sur le réchauffement climatique. Il faut dire qu'il pourrait bien nous réserver de mauvaises surprises...

Depuis quelques étés, la montée annuelle des températures est l’occasion d’observer le dégel du permafrost, cette couche de sous-sol gelée qui borde le cercle polaire. En théorie, le permafrost reste gelé toute l’année, mais avec le réchauffement climatique, des parties assez importantes sont en train de se réveiller. Et avec elles toutes sortes de gaz et de matière organique qui étaient restées piégées dans la glace. Comme par exemple, beaucoup de gaz à effet de serre, et… des paléo-virus.

Les paléo-virus, un nom qui ferait rêver les scénaristes d’Hollywod, sont des virus du passé : on les croyait éteints, mais ils reviennent lorsque des cadavres d’animaux pris dans les glaces dégèlent. Des cadavres de rennes, mais aussi, plus récemment, des cadavres de mammouths. Ce scénario catastrophe combine donc transformation climatique et risque épidémiologique. Hollywood en rêvait, l'histoire l’a fait : c'est ainsi qu'avait commencé la peste noire qui a frappé l'Europe en 1347.

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Cet article a été initialement publié dans le livre Actuel Moyen Âge publié chez Arkhê en novembre 2017.

 

La Peste noire : quand le climat fait circuler les virus

 

La peste noire est connue pour avoir balayé l’Europe au XIVe siècle. Elle frappe des sociétés qui ont connu une forte croissance démographique dans les quatre siècles précédent, et réduit en quelques décennies la population européenne du tiers, peut-être de la moitié, selon les espaces. Dans le Décaméron, Boccace dépeint des sociétés désorganisées. Certains se cloîtrent chez eux, d’autres folâtrent dans les rues et à la taverne, persuadés que rire est le meilleur remède. Pendant ce temps,

« Les gardiens et les ministres de la loi étaient tous morts, malades, ou si démunis d’auxiliaires que toute activité leur était interdite. N’importe qui avait donc licence d’agir au gré de son caprice ».

Comme toujours les sources littéraires nous poussent à exagérer les pertes, à insister sur la catastrophe et non sur les structures qui restent en place. Et pourtant, en Occident, il faudra attendre le XVIIe siècle pour que la population redevienne aussi nombreuse qu’avant la peste.

Hors de l’Europe, le tableau n’est pas très différent : la peste est une pandémie, c’est-à-dire une épidémie planétaire. Elle atteint toute l’Eurasie ou presque, et ravage aussi bien l’Occident que la Chine des Song. Et après le premier choc, mi XIVe siècle, elle perdure dans certaines régions, réapparait par vagues, s’intensifie en été. Les estimations démographiques pour le Moyen Âge relèvent toujours un peu du jeu de devinette, les estimations démographiques mondiales encore plus. On peut pourtant donner des ordres de grandeur : en 1300 la population de l’Eurasie serait supérieure à 300 millions d’habitants, trois siècles plus tard, en 1600, on l’estime en dessous de 170 millions d’habitants. Et tout cela, à cause de la peste.

 

Les gerbilles mordent, la caravane passe

 

Mais alors, d’où vient la peste ? Historiens et climatologues ont travaillé ensemble à résoudre cette question, ils ont abouti à un scénario plausible, assez largement accepté.

Il faut partir du VIe siècle après Jésus-Christ, lors de la dernière grande peste mondiale, qu’on appelle la « peste de Justinien », du nom de l’empereur romain qui régnait à cette époque. Après des ravages dont on ne connait pas vraiment l’ampleur, la peste finit par s’éteindre à peu près partout… sauf dans une région d’Asie centrale, sans doute sur un plateau du Tibet, où ne survivent que les microbes qui touchent les gerbilles. Les gerbilles, eh oui, et pas les rats, qu'on accuse à tort ! C’est tout de suite plus mignon, n’est-ce pas ? Ces régions sont peu peuplées, animaux et humains compris, et donc la peste reste endiguée. Même au XIIIe siècle, lorsque les Mongols ont conquis une large partie de l’Asie centrale et que les caravanes se mettent en place sur la route de la soie, la peste ne pose pas de problème. À l’époque de Marco Polo, on traverse les plateaux tibétains, mais on ne s’y arrête pas assez longtemps pour que le virus passe de l’animal à l’homme.

 

Soudain, tout change

 

Puis à l’extrême fin du XIIIe siècle et dans les premières décennies du XIVe siècle, le climat vient s’en mêler. Ces années correspondent au début du petit âge glaciaire, un refroidissement important qui touche l'Europe occidentale. Partout les phénomènes climatiques se réorganisent : moins de mousson en Asie du Sud Est, plus d’humidité et de chaleur en Asie centrale. Les gerbilles prolifèrent, puis descendent vers les plaines, et là elles croisent les caravanes. À partir de ce moment les microbes se propagent rapidement, peut-être d’abord à d’autres animaux, avant finalement de toucher l’homme. Lorsque la peste arrive sur la Mer Noire en 1347, elle se transmet désormais d’homme à homme. L’arrivée en Occident n’est qu’une des extrémités du parcours : alors que les Génois chargent quelques rats infectés sur leurs navires à Caffa, les microbes sont déjà en train de se diffuser vers la Syrie et l’Irak, en suivant prioritairement les routes marchandes.

Le scénario de la peste est donc complexe. Le climat ne joue que le rôle d’élément déclenchant.  Les nouveaux circuits d’échange à l’échelle de l’Eurasie expliquent la rapidité de la diffusion. Les formes de gestion locale et d’endiguement de la contagion entrent aussi en compte. Mais seulement de manière partielle : c’est une histoire large, dont les sociétés humaines ne sont que l’un des nombreux acteurs. C’est pourquoi on est encore loin de comprendre tous les mécanismes de la pandémie du XIVe siècle.

La seule chose qui est sûre, c’est qu’on comprend mieux la situation du XIVe siècle que les risques du XXIe siècle.

 

Pour aller plus loin :

- Jean Boccace, Le Décaméron, trad. Jean Bourciez, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 10.

- Danièle Alexandre-Bidon, La mort au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1999, p. 157-160.

- Bruce M. S. Campbell, The Great Transition. Climate, disease and society in the Late-Medieval world, Cambridge, Cambridge university press, 2016.