Une réponse importante aux débats autour des "territoires perdus de la République".

Le premier mérite de cet ouvrage est son titre. Il était, en effet, tentant de répondre aux auteurs des Territoires perdus de la République (2002) que, plus de quinze après, ces territoires étaient retrouvés. Mais, outre le caractère discutable du jugement, le choix de l’adjectif, vivants, déplace très opportunément la perspective.

Il ne s’agit nullement d’affirmer que certains des problèmes soulevés par les auteurs du livre de 2002 relèveraient du fantasme, mais de se demander si le prisme idéologique à l’aune duquel ils ont été analysés était bien le bon. Car, rappelons-le, le sous-titre du livre, Antisémitisme, sexisme et racisme en milieu scolaire, l’indique, il s’agissait essentiellement, tout en se proclament en prise avec la réalité du terrain, de stigmatiser des comportements dont la causalité n’était pas questionnée.

Or, ce livre collectif (une trentaine d'auteurs) propose une approche laquelle, sans être angélique, se situe à l’opposé du catastrophisme de 2002. Fondamentalement, il s’agit d’une réhabilitation de l’action éducative, réhabilitation qui se tient soigneusement éloignée de la stérile opposition entre laxistes et vigilants, et à laquelle les protagonistes des Territoires perdus, trop occupés à dénoncer, semblaient avoir largement renoncé. A l’opposé, les auteurs du présent ouvrage se demandent opportunément ce que serait la tâche du maître si les élèves partageaient spontanément les valeurs qu’il est chargé d’incarner.

Quelles sont donc les conditions qui permettent à l’institution scolaire d’être fidèle à son projet d’émancipation et de construction citoyenne ? Comment faire en sorte que les écoles de la République soient des lieux de confrontation de ce qui nous divise, mais aussi de construction des instruments intellectuels permettant de saisir notre essentielle et commune humanité ?

En lisant ces très nombreux témoignages, on perçoit que la laïcité, non nécessairement soumise à l’identitarisme religieux, peut être un outil d’émancipation. On découvre qu’il est parfaitement possible d’échapper à la concurrence victimaire, d’enseigner l’histoire de la Shoah, de défendre l’égalité des sexes, d’apprendre à respecter la liberté des orientations sexuelles. Non, redisons-le, que ces incontestables réussites coulent de source comme s’il n’y avait, chez les élèves, aucun préjugé (dont, soit dit en passant, la consistance et l’origine n’ont pas été, à ce jour, suffisamment étudiées). Mais la tâche de l’Ecole est précisément de réussir au-delà des préjugés.

S’en tenir à ces derniers pour ériger un mur quasi infranchissable entre « eux » et « nous », sous prétexte qu’« ils » se tiennent éloignés des références communes de la République, constitue une tentation que nous devons refuser fermement. Si l’on cherche, au mépris de la valeur de la diversité, à assimiler les populations d’origine étrangère, on se donne l’illusion de l’universalité par l’uniformité symbolique. Or, c’est à combattre cette illusion que se vouent les auteurs de cet ouvrage revigorant.

Ils le font sans ignorer que le monde social dans lequel vivent les élèves est injuste et parfois violent. Mais, ainsi qu’ils le soulignent dès le début du livre, ils ne peuvent concevoir leur métier que dans un rapport de confiance, « dans un échange qui nous permet, rentrée après rentrée, d’inventer des projets, de remettre en cause nos certitudes, de découvrir la vitalité d’une langue et d’une culture qui s’inventent et se vivent dans ces territoires. D’apprendre et d’en être changés »   .

Là où les auteurs des Territoires perdus dénonçaient sans nuance, ceux des Territoires vivants, sous la direction inspirée de Benoît Falaize, cherchent à donner une visibilité politique aux mondes vécus. Chemin faisant, attentifs aux relents post-coloniaux, ils refusent que la passion nationale pour la laïcité ne devienne le prétexte pour refuser notre part musulmane. Leur témoignage est un précieux gage d’espoir et un hommage appuyé, bien qu’implicite, à la pensée de Condorcet