Alors qu'il est assez difficile de se repérer dans la masse des publications sur mai 68, et de maintenir son esprit critique au moment de ce quarantième anniversaire, voici un utile numéro de la revue Le Débat, inévitablement consacré à "Mai 68, quarante après".

Un premier article de Jean-Pierre Rioux, permet de remettre en perspective l'actualité de ce qu'il nomme "l'événement-mémoire" en revenant sur quarante ans de commémorations, et analysant comment et dans quels contextes en 1978, 1988, et 1998, avaient été célébrés, avec plus ou moins d'intensité, les anniversaires de mai 68. Pour constater, qu'à travers ces commémorations et le flots de discours et témoignages les accompagnant, la connaissance historique a peu progressé, et que finalement, nous ne savons toujours pas précisément ce que nous célébrons en ce moment.

Deux articles sont consacrés aux dimensions intellectuelles de la crise universitaire de 68. Pierre Grémion publie des notes de recherche sur "Les sociologues et 68" : c'est la sociologie qui est, en effet, le détonateur de l'embrassement de la toute jeune université de Nanterre (dont le département de sociologie est créé en 1966), et les sociologues sont immédiatement sollicités pour offrir des interprétations de la crise. Leurs positions s'inscrivent naturellement dans la logique de leurs propres théorisations, et l'auteur revient sur les figures et les analyses d'Alain Touraine, Michel Crozier et François Bourricaud. Suit un article très clair et stimulant de Bernard Brillant sur les "Intellectuels : l'ère de la contestation". Mai 68 vient bousculer la figure, le rôle et l'identité de l'intellectuel pourfendeur des injustices et héraut de la cause des opprimés. Car il faut constater que, paradoxalement, les intellectuels semblent à la fois omniprésents (via notamment l'université) et absents de la scène des événements où dominent principalement le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier. L'auteur s'attache à mettre en lumière un double processus de légitimation de la contestation par les intellectuels d'une part et d'autre part de déligitimation de leur fonction : dépouillés de leur prestige, désacralisés, les intellectuels sont contraints de se trouver une nouvelle légitimité, dont la reconquête passera pour certains par les voies de la contestation radicale et l'activisme militant aux côtés des "gauchistes".

B. Vergez-Chaignon dans "Le tombeau d'une génération" fait le bilan de quarante années de critique de mai 68, ce qui permet de resituer les propos récents sur la liquidation de l'héritage de 68, dont les arguments n'ont rien de neuf. B. Delorme-Montini analyse les "regards extérieurs sur 1968", les études de 1968 publiées et les plus citées à l'étranger.

Enfin, Jean-Pierre Le Goff, l'auteur de Mai 68, l'héritage impossible, propose une analyse des différentes phases des événements et de leur enchaînement ; tandis que Marcel Gauchet dresse un premier bilan de la génération 68.


* Parallèlement à ce numéro, un volume de la collection Folio Mai 68, Le Débat rassemble les principaux articles et entretiens parus sur le sujet dans la revue.

* Voir également le site de la revue Le Débat.