Entre Sète, Toulouse et Carcassonne, trois peintres contemporains créent en évoquant le patrimoine du Tarn : du textile à la mine, en passant par la littérature.

L’aventure Çapeint, c’est d’abord la rencontre et les retrouvailles de trois peintres aux démarches et esthétiques différentes, mais réunis dans une même passion de la peinture : Henri Darasse, Alain Fabreal et Alain Garrigue. Ils se sont connus dans les années 1980 à l’école des beaux-arts de Toulouse et ont suivi ensuite des parcours différents. Henri Darasse est peintre et professeur de philosophie à Sète : il revendique une abstraction décorative au rouleau selon une logique de l’effet qu’il nomme « effectologie ». Alain Fabreal est peintre et pédagogue, directeur des beaux-arts de Carcassonne. Il écrit : « Je viens du passé, et j’explore le temps, je tiens la place du médium, de celui qui fait apparaître des images qui surgissent d’un monde onirique fractionné, désagrégé ». Alain Garrigue se définit lui-même comme un « imagier » : il est peintre, auteur de bande dessinée, écrivain et professeur aux beaux-arts de Carcassonne. Sa peinture affirme l’alliance de la figuration et de l’abstraction, du signe et de la couleur, de la lecture et de la vision.

 

Trois peintres, trois musées

Trois Musées départementaux du Tarn leur ont ouvert leurs portes pour réaliser une exposition temporaire en trois lieux différents évoquant le patrimoine du Tarn : le textile, la mine, la littérature. Ils y proposent une relecture de la notion de patrimoine et en particulier du rapport de l’artiste aux arts mécaniques, ou encore au travail. La rencontre des artistes avec les Musées départementaux du Textile, de la Mine ou encore avec le château-musée du Cayla a été déterminante dans leur travail. Ils ont chacun porté un regard singulier, suivant leur territoire pictural de prédilection et surtout en apportant la complémentarité de leur travail à ces lieux marqués par l’histoire des travailleurs.

Henri Darasse utilise les objets comme support-empreinte et sa peinture se nourrit du tissage des lignes déposées par le rouleau au risque de l’effilochage, renvoyant le spectateur à la mécanique et ses imprévus porteurs pour le peintre d’une ouverture créative.

 

(Henri Darasse, Rouleaugraphie [détail], 2017, acrylique au rouleau sur toile imprimée, 263 x 80 cm.)

 

Au musée du textile, Alain Fabreal joue avec les mythes et les références symboliques, comme la figure de Pénélope qui tisse et détisse la toile.

 

(Alain Fabréal au musée du textile.)

 

Il interroge le sens de la répétition, de cette irruption de l’altérité au sein de l’identique, délivrant le peintre de son obsessionnelle quête, le temps d’une toile, et recommençant à peindre à nouveau, le répit n’étant que provisoire. Alain Garrigue s’exprime à travers le mélange plastique des symboles énigmatiques, des mots ou de drôles de personnages sortis de l’univers de la bande dessinée. Ce mélange des genres et cet indéchiffrable qui suspend le sens de l’œuvre nous interrogent, tels la Sphinge de Gizeh.

 

Trois peintres, trois langages

« J'aime les usines parce qu'elles jonglent avec du compact, de l'épais, du tangible. Du pesant. Je les aime parce qu'elles ne sont que de la lourdeur boulonnée, mieux : de la lourdeur conceptualisée, quasi magique. Partout où elles éclosent, ces masses multiformes concrétisent par leur simple poids tout ce que le désespoir humain a pu transformer en énergie sur cette planète. » écrit Alain Garrigue refusant ici toute réduction psychologisante du travail de l’artiste. L’usine est lieu de transformation, de production de travail, au sens d’énergie. Puissance entropique de désorganisation qui ouvre à la réorganisation de la matière et de la forme. Référence à Beckett avec ce terme de désespoir qui nous force au travail et à la répétition, au risque de l’épuisement.

 

(Alain Garrigue, Attention fragile !, 2017, acrylique sur kraft marouflé sur bois, 63x48 cm.)

 

Pour Henri Darasse, le silence de l’atelier remplace le bruit des machines. La montagne noire est le territoire de l’art. L’écart, c’est l’espace du jeu, de la juste distance, la liberté du mouvement, au risque – ou la chance – de l’écart de conduite. Il y a dans le travail de l’artiste une impertinence à l’égard de la règle, il crée la marge propre à l’art. L’atelier est ce lieu où on médite, macère, rumine. L’écart est ce fil que l’on tire pour sortir du labyrinthe de la répétition, fuyant le minotaure de la pensée dans le même temps. Couper le fil de la pensée s’impose alors. Pour cela il suffit de laisser le tissu s’effilocher.

Pour Alain Fabréal, « si par moment la peinture semble se laisser dominer, l’instant d’après, suit le chaos, la catastrophe, puis à nouveau l’abîme et la fusion. Elle est comme l’eau qui glisse entre les doigts. Provisoirement, elle se laisse capter, diriger, porter, mais elle échappe à la permanence, à la détermination. Lui assigner un objet revient à la tuer. En connaître les codes et les savoir-faire ne gage pas de sa maîtrise. »

Le peintre n’est pas le sujet triomphant de la matière par un travail de mise en forme amenant au surgissement d’une représentation ouverte à l’extériorité du discours de la signification. Il porte en lui cet instinct de la couleur, dans une sorte d’élan de vie, toujours au risque de le perdre, la peinture ne se laissant pas cerner, enfermer. Proche en cela du paysage, elle ouvre au dépaysement, à l’inconnu. Mouvante et mobile, l’informe, le difforme la guettent, à l’aune de ces gueules cassées d’Alain Fabreal, à la limite de perdre leur figure humaine. Le travail tout en tension entre forme et difforme.

 

Repenser le musée, expérimenter de nouveaux lieux

Si l’art est un « faire », il l’est au sens de poiesis, de travail se donnant à voir dans un lieu qui n’est ni le repos de l’œuvre, ni le refuge oisif des salons aristocratiques ou la collection privée des mécènes. Le musée n’est nullement dortoir, ou pire, mouroir. Il est en attente du spectateur qui, lui aussi doit se mettre à son propre travail : le travail de l’interprétation. Ces Musées du faire, de l’effort, de la résistance de la matière à elle-même, portent en eux le sens du travail de l’artiste, rassemblant ce que la Renaissance avait divisé en artiste et artisan et que l’Encyclopédie de Diderot distinguera en Beaux-Arts et Arts Mécaniques. Pour Henri Darasse, « la fréquentation nécessaire du Musée du textile de Labastide- Rouairoux me permettrait d’approfondir ma connaissance du tissage et de ses matériaux d’envisager des transpositions et des détournements de ses techniques en peinture, d’imaginer aussi des présentations pertinentes de ce travail au milieu des machines, sur les différents rouleaux où s’enroulent les tissus par exemple, et pas seulement dans les salles d’exposition »   .

Pour les trois peintres la peinture est un changement de position, un refus de la pose. La peinture n’est pas affaire de poseur. Elle se fait tout simplement, au-delà de tout discours du concept. La peinture se resitue, se déplace, se dégage de la volonté de maîtrise extérieure du sujet.

 

Exposition « Çapeint : ça fore

Musée-mine départemental, Cagnac les Mines

Du 16 mars au 16 septembre 2018

 

Exposition « Çapeint : ça tisse »

Musée départemental du Textile, Labastide-Rouairoux

Du 13 avril au 21 octobre 2018

 

Exposition « Çapeint : ça muse »

Château-musée du Cayla, Andillac

Du 30 mars au 21 octobre 2018

 

Extraits du Catalogue de l’exposition.


 

Auteurs : Henri Darasse, Alain Fabreal, Alain Garrigue

180 pages couverture rigide