Le musicologue et compositeur Karol Beffa revient sur la complémentarité de ces deux activités dans un essai autobiographique.
Karol Beffa a toujours mené de front deux carrières : celle de pianiste-compositeur, pour laquelle il a été primé à deux reprises lors des Victoires de la musique classique, et celle de musicologue, en tant que maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure (ENS). Par volonté et par hasard. Théorie et pratique de la création musicale reprend le document de synthèse de son Habilitation à diriger des recherches (HDR). Cet exercice, qui accompagne le recueil de travaux du candidat ainsi qu’un mémoire de recherche inédit, consiste à retracer son parcours personnel, de recherche et d’enseignement, et s’apparente à une forme d’égo-histoire.
A cette occasion, Karol Beffa revient longuement sur sa formation. De l’intrigante irruption d’un piano dans son univers familial à son inscription, dès le primaire, au conservatoire, d’où datent sa fascination pour le solfège et ses premières compositions au piano. Lors de ce cursus musical, Beffa suit en particulier des classes d’écriture où la pratique du pastiche est centrale et qui lui donnent une compréhension du fonctionnement de la musique depuis son intérieur. C’est ensuite lors d’un stage post-baccalauréat chez Fayard qu’il découvre la musicologie, alors qu’il est occupé à relire des ouvrages spécialisés dans le domaine, dont celui de son futur directeur de thèse Alain Poirier.
En parallèle de ses études (ENS/ENSAE), Beffa chronique des CD ; cette activité s’avère très formatrice puisqu’elle l’expose à une grande diversité de musiques. Ainsi, au moment de choisir l’agrégation qu’il passerait, il surprend le directeur adjoint de l’ENS en retenant celle de musique quand son cursus universitaire initial le disposait davantage à celle de sciences sociales. Beffa complète son apprentissage formel de la composition lors d’un échange universitaire d’un an à Berlin. Il reprend également ses études de piano après la parenthèse qu’auront constitué ses études à l’ENS. En parallèle, il s’engage dans la voie de la musicologie à partir du DEA.
Le début de sa carrière de musicologue coïncide avec l’intensification de son intérêt pour le compositeur hongrois György Ligeti et, en particulier, pour ses Etudes pour piano que Beffa envisage à travers la thématique de « l’Un et du Multiple ». A ce sujet, il écrit : « Polymodalité, polyrythmie, polymétrie, polyphonie m’ont paru être les mots-clés du langage de Ligeti, compositeur qui aime à enchevêtrer plusieurs couches mélodiques et rythmiques, en y alliant le plus souvent une superposition de couleurs harmoniques. » Il consacre ainsi sa thèse à cette œuvre de Ligeti, caractérisée – entre autres – par la grande maîtrise technique qu’elle requiert de ses interprètes. Toutefois, Beffa s’efforce de dépasser la seule analyse technique afin de rendre compte de « l’intention esthétique » de Ligeti, ce que Beffa nomme les « impressions visuelles » du compositeur ainsi que leur « théatralisation ». Ses recherches sur Ligeti se poursuivent après le doctorat, à la fois via l’étude de nouvelles œuvres du Hongrois et sa comparaison avec d’autres compositeurs tels que Mahler et Debussy. Elles culminent avec l’écriture d’une biographie de Ligeti , qui constitue la première approche globale du compositeur et qui lie étroitement vie et œuvre. En retour, Beffa décèle une influence de Ligeti sur son propre travail de compositeur, notamment avec l’exploration commune de « tendances dites de clouds et de clocks. »
En parallèle de ses activités de recherche, Karol Beffa a toujours enseigné, notamment à l’ENS (sur la musique pour des publics de spécialistes et de non-spécialistes), sur des thèmes vastes et régulièrement renouvelés. Il donne cours pendant plusieurs années à Polytechnique et, à plusieurs reprises, des Master Classes. En 2012-2013, il occupe la Chaire de création artistique au Collège de France. Dans ce cadre, il s’efforce d’adopter une optique transdisciplinaire afin de ne pas se cantonner à la seule musicologie. Sa leçon inaugurale, intitulée « Comment parler de musique ? », se fonde sur des écrits sur la musique dus à des compositeurs. Pour Beffa, là encore, « ce qui devait guider le discours du musicologue, c’était la mise en lumière du projet esthétique du compositeur. » Dans la continuité de ses activités d’enseignement et de recherche, Beffa s’attache à la diffusion des savoirs, qui passe, selon lui, par une exigence de clarté qui se retrouve dans différentes occupations : la critique de livres pour la revue Commentaire et pour Nonfiction, dont il coordonne le pôle Musiques depuis 2007, ou encore à l’occasion des nombreuses interviews qu’il accorde sur son travail d’universitaire et de compositeur.
Ce souci d’accessibilité se retrouve dans son travail de compositeur avec l’écriture de pièces pédagogiques, pour la Maîtrise de Radio France ou lors de concours. Beffa est également l’auteur de partitions de contes musicaux clairement enracinés dans la littérature contemporaine, dont certains ont par exemple pour point de départ des textes de Daniel Pennac. A la croisée de ses différentes activités, Beffa étudie également l’Opéra (le rapport au canon, la notion de « mimésis », etc.) et a composé pour lui à deux reprises (2010 et 2014) autour de l’œuvre de Kafka. Il a également écrit des ballets, en lien avec les arts plastiques et le cinéma, où il accompagne au piano et de manière improvisée des films muets.
La synthèse des différentes facettes de Beffa se retrouve dans ses interrogations sur la création, acte qui ne va sans doute et difficulté pour lui, et sur laquelle il a écrit avec le mathématicien Cédric Villani Les Coulisses de la création (Flammarion, 2015). En annexe de ce mémoire d’HDR, il reproduit deux entretiens qu’il a donnés : l’un sur la musique chez Proust, l’autre sur la musique du XVIIIe siècle au cinéma. Et bien sûr, comme le veut l’exercice, l’on retrouve une bibliographie de ses textes, et dans son cas particulier, la liste de ses compositions et son abondante discographie personnelle