Du 6 février au 13 mai 2018, le Petit Palais expose « Les Hollandais à Paris » : images de rencontres entre des hommes, des peintres et une ville, « Capitale des arts » en pleine tension.

Entre 1789 et 1914, plus d’un millier d’artistes néerlandais séjournent à Paris, ville de la modernité pour beaucoup, mais aussi ville marchande de l’art. Comme la Seine circule entre deux rives reliées par des ponts, les peintres hollandais qui se déplacent à Paris ouvrent un dialogue avec les peintres et les institutions artistiques de la ville. A un siècle de distance, on est curieux de découvrir, rétrospectivement, une ville qui fut représentée tout au long du XIXe siècle comme la Capitale des arts, dans laquelle les « Hollandais » voyaient aussi l’occasion d’accéder à de nouveaux marchés, le XIXe siècle étant le moment de la figure du marchand d’art se substituant au mécène aristocrate ou clérical. La trajectoire du peintre Frederik Hendrik Kaemmerer, présenté à l’exposition, illustre la part de ces stratégies économiques dans les mobilités artistiques : protégé de l’industriel rotterdamois Edward Levien Jacobson, il est confié par ce dernier au marchand d’art Adolphe Goupil à Paris.

Les Salons, les expositions Universelles attirent les peintres comme autant d’ occasions de montrer leurs travaux et de trouver des acheteurs. Les œuvres voyagent. Dans une lettre à sa mère, Théo Van Gogh écrira l’été 1886, à propos de son frère Vincent : « Il n’a pas encore vendu de tableaux pour de l’argent, mais il en échange contre d’autres. Nous avons ainsi une belle collection, qui a naturellement aussi de la valeur. »

 

Ce que l’art doit à la rencontre

Au-delà d’une présentation chronologique de la peinture, l’exposition nous offre une constellation d’itinéraires individuels, montrant que le XIXe siècle est d’abord le lieu de la diversité et une véritable pépinière d’expérimentations. La montée de l’industrialisation crée de nouveaux commanditaires et un nouveau rapport à l’œuvre d’art. Voyager, comme on peut alors le voir, c’est sortir de son atelier intime, s’ouvrir à l’inconnu et à la rencontre. L’exposition met ainsi en place, à travers l’exemple hollandais, une définition de l’histoire de l’art au XIXe siècle, par un jeu de rencontres et d’influences. Le mythe du peintre solitaire est battu en brèche, de même que celui du génie. La peinture croise de multiples héritages, et pas seulement celui des musées. Le présent de l’œuvre est le résultat de rencontres et de discussions impromptues.

Dans le même temps, l’exposition recadre l’art au sein des polémiques dont il est l’objet. A côté des œuvres institutionnelles surgissent des œuvres qui interrogent les règles de l’art académique et qui, pour certaines, rejoindront le Salon des Refusés. L’art prend position. Il quitte l’image de désintéressement qui fut longtemps sa caractéristique.

 

Portraits de quelques peintres Hollandais en Parisiens

A la fin du XVIIIe siècle, Gérard Van Spaendonck, guidé par son intérêt pour la botanique, s’installe au Jardin des Plantes, où il déploie une peinture d’imitation qui le conduira à travailler auprès de Buffon.

 

(Gerard van Spaendonck, Tulipe des jardins. Gravure parue dans Fleurs dessinées d'après nature, 1799-1801.)

 

Dans sa peinture, Diderot verra un tel réalisme qu’il écrira à propos de ses tableaux qu’il ne leur manque que l’odeur. Sortant de la thématique du paysage, Van Spaendonck se rattache à l’art des jardins – et donc, du jardin des plantes –, ce qui accentue un contraste avec la réputation de paysagistes des Hollandais. Héritier des peintres de nature morte, il peint « d’après nature » et contribue à perfectionner ce genre à Paris. Le réalisme du peintre hollandais, privilégiant la précision scientifique, à la limite du document scientifique, opère le rapprochement des sciences et des Beaux Arts. Peintre officiel de la monarchie, il correspond au goût qui se développe autour de la thématique de la belle nature, harmonieuse.

Dans un tout autre esprit, Johan Barthold Jongkind incarne un réalisme inspiré de Corot. Peintre de paysage, il peint en extérieur, à la différence des impressionnistes qui privilégient l’atelier. Claude Monet, qu'il rencontre en 1862 lors de séjours communs à la Ferme Saint-Siméon, à Honfleur, reconnaîtra sa dette envers Jongkind : « c'est à lui que je dois l'éducation définitive de mon œil ».

La peinture de paysage peut aussi être urbaine. C’est le sens du travail de George Hendrick Breitner, qui peindra une douzaine de femmes au kimono, montrant ainsi son attachement à Manet et à la relecture qu’en propose Degas. et son Nu allongé (1888) puise ses sources chez Degas (Baigneuse allongée sur le sol, 1885).

 

(Edouard Manet, Olympia, 1863)

 

(Edgar Degas, Baigneuse allongée sur le sol, 1885).

 

(George Breitner, Le kimono rouge, 1893.)

 

Au-delà de ces emprunts, l’exposition met en scène, tout du long, les voyages au sein des œuvres par les œuvres, les échanges des règles de l’art, leurs modifications. Les voyages forment la jeunesse, selon l’humanisme de Montaigne. L’art voyageur se met ici au service d’un nouvel humanisme : celui de l’art lui-même. Interrogeant la réalité sociale, l’artiste ouvre la peinture à de nouveaux genres.

 

A l’opposé du réalisme, Ary Scheffer (1795-1858), influencé par Delacroix et Géricault, développe un art romantique. La famille d’Orléans sera son mécène. La comparaison du Massacre de Scio par Delacroix (1824) et des Femmes souliotes (1823) par Ary Scheffer montre l’importance du religieux qui traverse les deux œuvres et la référence commune à Rubens. Il y a un jeu de tension que l’on retrouve chez ces trois artistes, dont les œuvres portent chacune leur propre devenir.

 

(Eugène Delacroix, Le massacre de Scio, 1824.)

 

(Ary Scheffer, Les femmes souliotes, 1823.)

 

(P. P. Rubens, Le massacre des Innocents, 1611-1612.)

 

De même que le mécénat change de forme, les peintures se modifient. L’Exposition « Les peintres hollandais à Paris », c’est finalement l’histoire de ces tensions. L’ancien côtoie le nouveau. Rien n’est encore joué, mais on voit comment les mutations du XXe siècle se mettent en route.

Le voyage, c’est le mouvement dans l’espace et le temps. On peut dire que les Hollandais à Paris inaugurent de nouveaux « mouvements » dans l’histoire de l’art et rencontrent, en l’espace de quelques années, les bouleversements artistiques qui libéreront peu à peu les artistes des normes rigides de l’appartenance à un territoire de l’art. C’est pourquoi, pour beaucoup, ce fut un voyage sans retour.